L’ENTREBÂILLEMENT DE LA PORTE
– "L’Entrebâillement de la porte" est la métaphore d’une révélation, d’une petite apocalypse — au sens étymologique — du métissage lié à la "féminitude" : par un "entrebâillement de porte" on observe à la dérobée, ça intrigue, c’est moins évident que si la porte est grande ouverte, mais non moins révélateur.
– Polychroïsme : propriété de certaines substances qui offrent des colorations diverses, selon les circonstances d’observation. Par cette propriété, le même cristal (comme le "baccarat") peut apparaître avec différentes colorations dépendant de l’orientation dans laquelle il est trouvé dans la préparation microscopique.
Ce poème est une variation sur les thèmes liés du métissage, — qui offre une "multitude" de couleurs variées —, et de la "féminitude", qui rime avec négritude, néologisme avec le même suffixe caractérisant un statut assumé : de même que la négritude aide à se sentir bien dans sa peau de nègre, la "féminitude" aide à se sentir mieux dans sa peau de femme. (Ce qui ferait du bien aux hommes aussi.) Cette forme de féminisme ne veut pas que l’on gâche le plaisir d’être femme. La féminitude est intimement intriquée à la notion de métissage.
– "champ offert" :
Comme un champ de fleurs (des fleurs des champs, comme des coquelicots), des fleurs répandues sur le sol, offertes au regard, avec une certaine noblesse, une certaine élégance, une certaine distinction. Il y a en effet référence au sens du mot "champ" en héraldique, qui désigne le fond de l’écu. Le champ désigne aussi la manière dont le fond de l’écu est traité, c’est-à-dire la manière dont on a rempli cette surface, l’attribut de champ. Il y en a trois grandes catégories : le champ peut être composé ou semé, ce qui serait le cas ici, avec un semis de fleurs, ou d’émail uni (ou métal), ou de fourrure (hermine, vair).
– incarnat : couleur entre le rouge cerise et le rose.
Le mot est ici au pluriel, puisque "incarnat" est une couleur intermédiaire : il y a diverses nuances d’incarnat, comme il y a diverses teintes de peaux, métissées ou non.
– "D’infinitude d’yeux cillant" :
Par une démarche animiste, il y a personnification de ces fleurs, qui ont des yeux : elles symbolisent les femmes, toutes les femmes de toutes les couleurs, en "polychroïsme". En somme il y a, dans ce poème, le regard d’une femme "En plénitude d’œil ouvert", le regard "furtif" de la narratrice qui, dans "l’entrebâillement de la porte", aperçoit toutes ces fleurs personnifiées, et s’adresse à l’une d’elles, Pandora, en lui disant : "Ton avenir n’est pas si différent du mien" (le "tu" se rapporte à Pandora), en une sorte de communion dans la condition féminine vue dans la plénitude, la "féminitude".
Les yeux de ces femmes-fleurs "cillent" parce qu’elles sont vivantes, étonnées, attentives, et peut-être aussi font-elles des clins d’oeil de complicité à cette personne qui les examine à travers "l’entrebâillement de la porte" .
– nacarat : rouge orangé à l’aspect nacré.
– baccarat : cristal.
– "Cristal torturé par de volcaniques ardeurs " :
Ce vers rend plus cristalline cette métaphore du métissage, vu comme une fusion volcanique, en référence au volcan de Martinique La Montagne Pelée. Dans les volcans, le refroidissement par étapes du magma, sa solidification sous forme de cristaux, donnent naissance aux roches volcaniques. Par la cristallisation, il y a formation de cristaux de taille variable à partir d’un magma en fusion. Plus la taille des cristaux est importante, plus le refroidissement a été lent. À l’inverse, l’absence de cristaux dans une roche témoigne d’un refroidissement rapide. Ici, "ardeurs", qui désigne la fusion volcanique, est à prendre au sens étymologique (du latin "ardor", chaleur), avec l’idée que le métissage s’est fait lentement, dans la chaleur des Caraïbes, à l’issue d’un très lent refroidissement (qui symbolise l’apaisement progressif entre populations créoles), puisqu’il a produit du cristal, mais que cette fusion entre peuples de diverses origines qui se sont fondus entre eux s’est opérée dans la douleur et les tourments de l’esclavage et de la colonisation (" torturé ").
La métaphore du "cristal", généralement symbole de pureté, pour évoquer le métissage, fait la nique aux tenants des prétendues "races pures" dites "supérieures", en se moquant de leurs théories racistes pseudo-scientifiques.
– "ces pisse-copie" sont des gens qui pissent de la copie, qui écrivent n’importe comment, à tort et à travers, trop et sans discernement, des écrivassiers, des écrivaillons, des scribouillards…
– "D’Afrique et d’Inde et d’Utopie" :
La petite accumulation de la coordination "et" est une figure de style insistant sur la quantité incommensurable des lieux de provenance, comme si ça devait ne jamais s’arrêter, comme si c’était infini, puisque qu’on en arrive à venir d’Utopie, du grec οὐ τοπος , ou-topos (« aucun lieu »). (Pour la traduction, d’une langue à l’autre l’esthétique n’étant pas la même, en fonction des accents et de la musique de la langue, il peut être préférable de supprimer les "et".)
– "Parée pour ta Révolution" : ici, "paré" est à la fois au sens de "prêt, équipé, ayant le nécessaire, qui a pris des mesures pour se protéger" et de "agrémenté, orné, apprêté avec soin". (Jeu de mots sur les divers sens du verbe "parer", avec, plus bas, "Parée, oui, de tous les dons").
– "Parée, oui, de tous les dons" : dotée de toutes les qualités, toutes les aptitudes, tous les talents possibles. (C’est le sens étymologique du nom grec Pandora, de "pan" = "tout" et "dora" = les dons.)