NEGZAGONALE
– "Nègzagonale" : puisque la France est en forme d’hexagone, et qu’elle est souvent désignée par cette périphrase, "nègzagonal" est une appellation péjorative formée des mots "hexagonal" et "nègre," désignant un Antillais né dans l’hexagone, c’est-à-dire en France. Bon nombre d’Antillais nés aux Antilles aiment à traiter les Antillais nés en France de "nègzagonal" ou de "négropolitain" pour les stigmatiser, parce qu’ils leur reprochent non seulement d’être moins authentiques, mais d’être méprisants, snobs, arrogants avec leurs manières des grandes villes, de parler "pointu", sans l’accent créole, de considérer ceux qui sont restés au pays comme arriérés, sous-développés. Je ne partage pas cette position discriminatoire, au contraire ! C’est pourquoi j’ai écrit ce poème.
– « Au bout du petit matin » :
En 1991, en écrivant ce poème citant ce leitmotiv du Cahier d’un retour au pays natal — j’ignorais que l’aéroport du Lamentin se nommerait « Aéroport Aimé Césaire » en 2008. ("Il n’y a pas de coïncidences, il n’y a que des correspondances", ai-je écrit dans Rue Monte au ciel…)
– "chabin", féminin "chabine" : métis de Noir et de Blanc à la peau, aux yeux et aux cheveux généralement clairs, ces derniers étant frisés ou crépus.
– "calazaza" (masculin ou féminin) : type de chabin ou métis de Noir et de Blanc à la peau très claire, aux cheveux bouclés ou frisés blonds ou roux et aux traits fins, peu "négroïdes".
– "L’Autre Bord" : l’autre bord de la mer, de l’océan : en créole "lòt bò" (L’Autre Bord) veut dire la France.
– "Mamzelle avait été faite là-bas" :
c’est-à-dire qu’elle était née en France ; en Martinique on dit souvent "là-bas" pour désigner la France.
– "Douci" est un créolisme et un archaïsme à la fois (ce qui est souvent le cas, le créole étant de formation ancienne, composé de vieux français du XVII è siècle) signifiant "adouci".
– "Euroblack", formé de "européen" et de "black", désigne un Noir né en Europe.
– "Belle petite tôle ondulée cambrée en cadence" :
"Belle tôle" est une façon familière de parler d’une jolie fille bien faite, qui a un beau corps, une métaphore empruntée aux voitures : on dit aussi "une belle carrosserie", "un beau châssis, "belle comme un camion"… Elle roule des hanches en cadence : "cambrée en cadence" suggère l’idée que ses formes, sa démarche sont si gracieuses, si harmonieuses qu’elles paraissent chanter, créer une musique, danser sur un rythme mélodieux. L’adjectif « petite » est ici au sens affectif, affectueux, sans idée d’âge ni de taille, comme dans l’expression « petit(e) ami(e) » signifiant « boyfriend », « girlfriend ». Il y a un jeu de mots faisant allusion à la « tôle ondulée » dans l’emploi de « ondulée », qui évoque à la fois du visuel de formes féminines sinueuses, de courbes, et un mouvement dansant dans la démarche, ondulant ; « cambrée » n’est pas péjoratif, au contraire : c’est l’idée qu’elle est bien roulée, qu’elle a les fesses bien rebondies.
– Née jusqu’au diable vauvert, 93 :
"Au diable vauvert" est une expression bien française signifiant "très très loin", "en lieu très éloigné" ; "jusqu’à", en ce sens, est un créolisme insistant sur l’extrême éloignement, puisque c’est dit du point de vue d’un Antillais vivant aux Antilles. Le 93 est un département de la banlieue parisienne, la Seine-Saint-Denis. La phrase veut dire qu’elle est née très loin des Antilles, en banlieue parisienne. Cette expression ne marque pas seulement la distance, mais insiste sur la nuance de mystère, l’évocation d’un être venu d’un lieu lointain, vu comme un peu diabolique, car inconnu…
– "Négropolitain" est formé de "négro" et de "métropolitain" : c’est une appellation encore plus péjorative désignant un Antillais né en métropole, c’est-à-dire en France.
– "toloman" : traditionnelle bouillie pour bébés antillaise préparée à partir de la fécule extraite d’une racine réduite en une fine poudre blanche.
– en bas du bois : l’expression créole « anba bwa » (mot à mot, en français, « en bas du bois ») signifie « près des bois, à la lisière des forêts, à la campagne » par opposition à la ville, donc « en Martinique » par opposition à la « métropole » (un peu comme dans la Fable de la Fontaine « Le rat des villes et le rat des champs »).
– "C’est pas une maquerelle comparaison" :
C’est pas (familier) = elle n’est pas.
En créole, "maquerelle" a un sens différent du français, il signifie colporteuse de ragots, commère, femme médisante et malfaisante qui s’occupe des affaires des autres.
"Comparaison" a aussi un sens particulier en créole : est "comparaison" une personne qui fait toujours des comparaisons entre les gens pour les juger, les discriminer, donc prétentieux, hautain.
En résumé, cette jeune "nègzagonale" n’est ni une mégère ni une pimbêche, c’est une jeune fille sympathique.
– "C’est un petit canon jeans et blouson."
"C’est" = elle est.
"canon = une très jolie fille.
"jeans et blouson" : sous-entendu EN jeans et blouson.
– "choupette" : fille insignifiante, fille facile, jeune fille naïve et sans volonté, une pauvre petite chose que les garçons peuvent aborder aisément et qui leur cède sans méfiance, proie rêvée pour les dragueurs. (En fait cette appellation n’est guère utilisée que par les garçons, avec une nuance machiste, méprisante.)
– "Lui fais pas sa fête !" :
L’expression française "faire sa fête à quelqu’un" est une antiphrase familière rejoignant le créole "pa fè lafèt épi…", qui signifie "se moquer de quelqu’un, se payer sa tête, le taquiner, l’embêter, l’importuner" (à ne pas confondre avec "faire fête à quelqu’un", sans article, qui signifie faire bon accueil à qqn).
– "Plakatak" et "pakatak" : onomatopée évoquant la musique des "ti bois", instrument de musique traditionnel antillais, sortes de petites baguettes, de bâtonnets, avec lesquels on bat la mesure en frappant sur un tronc de bambou sec, en accompagnement musical, un peu comme une mini-batterie.
– "vidé" : défilé carnavalesque très populaire et animé où l’on court et danse à la fois sur un rythme entraînant.
– "le gros ka" (créole : gwo ka) : gros tambour.
– "les petits-bois " (en créole ti bwa) : instrument de musique traditionnel antillais, sortes de petites baguettes, de bâtonnets, avec lesquels on bat la mesure en frappant sur un tronc de bambou sec, en accompagnement musical, un peu comme une mini-batterie.
– "Vaval” : le Carnaval en créole.
– "O Madiana, violons en sac" :
« Madiana » est un des noms de la Martinique, sans doute une transformation de "Matinino", qui est un des anciens noms amérindiens de la Martinique. C’est aussi le nom d’une plage de Martinique, et le nom d’une chanson créole qui dit (je traduis) : " Ô ! Madiana !/Le jour s’ouvre (= se lève) /Laisse-moi/Pour que je rentre chez ma maman ! "
C’est la chanson traditionnelle de fin de bal. Autrefois on disait aussi, en fin de bal : " Les violons, dans le sac ! " : allez, les musiciens rangent leurs instruments, la fête est finie ! Autrefois il se trouvait sur cette plage de Madiana une paillote (bal populaire sous une tonnelle) du même nom.
– "Matinino" est un des anciens noms amérindiens de la Martinique.