CANONS ÉTONNANTS ET TONNANT

"Laconique art poétique"
mardi 24 avril 2012
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– L’intertitre "Laconique art poétique" :
Tel un "art poétique" à l’instar de Verlaine dans son poème ainsi intitulé "Art poétique", ce poème "Canons étonnants et tonnant" affirme brièvement — laconiquement — mes conceptions de la littérature, libre, novatrice, libérée des "canons" et autres règles contraignantes, une écriture "marronne" : voir plus bas : "Il est grand temps que je marronne". Ce " laconique art poétique " est l’occasion de voir plus large, faire plus clair, plus universel, ne pas rester dans un petit cercle confidentiel franco-français ; je n’ai pas envie que ma poésie y soit confinée. Elle est métisse, elle est ouverte, elle est à tout le monde ! Émancipée, affranchie de toute entrave elle doit parler à tout le monde en toute clarté. (Si possible… Quoi qu’on fasse, il subsiste toujours une incontrôlable opacité.)

– "Canons étonnants et tonnant" :
Ce poème est inspiré par un symposium sur " Les canons des littératures francophones" organisé par le Professeur Peter Klaus de Freie Universität Berlin, à qui il est dédié. Il y a métaphore et jeu de mots sur deux sens du mot "canon" :
1/ ensemble de règles (thème du symposium), parfois surprenantes ("canons étonnants") ;
2/ (armée) pièce d’artillerie envoyant des projectiles à forte distance avec un bruit assourdissant, un bruit de tonnerre ("canons tonnant").
Ces règles strictes assénées autoritairement résonnent comme des coups de canon, comme des coups de tonnerre aux oreilles de l’auteure quand ils la rappellent à l’ordre et l’empêchent de se dégager des règles rigoristes. Ces "canons" sont donc à la fois "étonnants et tonnant".

– "blogodo" (créole) = badaboum ! boum ! (interjection onomatopéique exprimant une chute brutale et bruyante, un vacarme, ici employée pour rendre le bruit du canon).
Mes traducteurs en anglais et en espagnol ont laissé le mot créole "Blogodo", suivi de sa traduction. Ça peut en effet faire plaisir au lecteur, de humer ces parfums créoles de temps en temps. Ça le fait pour le lecteur français, car tout le créole est expliqué et quasiment "traduit" en français aussitôt : par exemple, pour "En grand paintingue", je donne tout de suite le sens en français, avec "en grande pompe". Les gens aiment bien ces petits "voyages" linguistiques qui les font rêver sans totalement les dépayser, sans les dérouter. C’est, dans toutes mes oeuvres, ma démarche d’écriture, qui emmène le lecteur en voyage dans l’espace et le temps avec du créole, du latin, du grec…

– "voilà que" annonce le début d’une action, l’arrivée plus ou moins inopinée d’un événement (=subitement, soudainement). "Voilà que" est une expression bien française, un gallicisme très courant mais à la construction intraduisible mot à mot (c’est la contraction de "vois là" + que).

– "En grand paintingue" (créolisme ; le créole penteng = banquet) signifie "en grande cérémonie", "en toute solennité", "en grande pompe". Cette expression est synonyme de "en grande pompe" : il s’agit d’une simple redondance insistant à la créole sur le caractère grandiose de ce colloque universitaire et le pimentant de créolisme, "à la sauce chien", pour lui donner du chien… La légère ironie contenue dans cette redondance marque une distanciation, en accentuant le contraste entre ce grand symposium dans une grande université du grand Berlin dans la grande Europe, et la petite écrivaine invitée, débarquant de sa petite Martinique, petite représentante de la littérature francophone, elle-même petite partie de la littérature française.

– "être dans mes petits souliers" : expression française familière ; "être dans ses petits souliers" signifie être ému, avoir le trac, être intimidé, un peu embarrassé dans des circonstances solennelles, impressionnantes, faire très attention pour ne pas faire de bêtises, de faux pas, être un peu mal à l’aise comme dans des chaussures trop petites et fragiles.

– "Pour éviter de débarquer
Là-bas avec mes gros sabots
"
 :
La métaphore des "souliers" est filée, car cette expression rejoint, plus bas, une autre expression française familière : "débarquer avec ses gros sabots ", qui signifie "faire figure de paysanne, de personne fruste, parmi des gens raffinés, distingués". Ici, c’est la Martiniquaise, la personne de couleur, qui débarque à Berlin, au milieu d’universitaires de grands pays, France, Canada, Allemagne etc., invitée à un symposium dont le thème est " les canons des littératures francophones".

– D’où la mise en garde : "Gare à ne pas faire la bitako".
"Bitako" (créole) = paysan, campagnard, rustique, rustre, qui a des manières frustes.

– "Où se mettent en perce ces mystères :
c’est l’idée de percer les mystères, avec l’image d’un tonneau que l’on perce.

– " Hors de question que je détone
Ou que je détonne. "

Les deux homonymes « détone »/ « détonne » expriment l’idée que, primo, « il ne faut pas que je détone » avec un seul N, du verbe "détoner", c’est-à-dire « il ne faut pas que j’explose » — comme un canon produisant une détonation —, « il faut que j’aie de la retenue », et, secundo, « il ne faut pas que je détonne » avec deux N, du verbe "détonner" qui signifie " ne pas être dans le ton ", " sortir du ton ", "chanter faux", "ne pas être au diapason", donc au sens figuré " ne pas être en harmonie avec les autres, jurer, faire tache, paraître incongru, être comme une mouche dans du lait, sembler bizarre"… En somme, « je dois me tenir bien » mais aussi « il ne faut pas que je sois disparate », « je ne dois pas contraster » au milieu de tout ce beau monde.

– "Woy papa’y !" (exclamation créole marquant l’étonnement amusé, exagérément admiratif) = Aïe aïe aïe ! Ouille ouille ouille ! Ouh la la !

–  Voilà que résonnent
Vieux canons et perspectives !…

Opposition entre " vieux canons " de la littérature classique et " perspectives " nouvelles, points de vue novateurs, innovants.

– " Manman ! " (créole) = maman : exclamation très simple, très courante, familière et du domaine familial. "Manman" et "papa" reviennent sans cesse dans la conversation, sans connotation religieuse : on prend juste à témoin une personne respectable — absente mais prégnante, importante — pour marquer son émotion, son étonnement…
En français ce qui s’en approche le plus, dans le ton, dans l’esprit, c’est "Bonne mère !", un peu vieilli (mais le créole est proche du vieux français…), qui réfère à la Vierge Marie, de même qu’en créole on emploie fréquemment comme exclamations "Bon Dieu Seigneur !", "Jésus, Marie, Joseph !" et même "Jésus, Marie, Joseph et tous les saints ".

– " Voilà qu’on raisonne :
Grands dieux ! Sont-elles mortes ou vives
Nos Belles-Lettres francophones ? "

" Voilà qu’on raisonne " est en écho à " Voilà que résonnent ". Ici " raisonne ", employé parce qu’il est homonyme de " résonne ", a le sens de " discuter ", "débattre", "argumenter"…
Les deux points après "raisonne" ont valeur explicative : le contenu de ces raisonnements, ces argumentations, est développé après les deux points : "Voilà qu’on raisonne : /
Grands dieux ! Sont-elles mortes ou vives /
Nos Belles-Lettres francophones ?" =
les gens commencent à réfléchir sur les " canons " littéraires, les congressistes se mettent à analyser, universitaires et écrivains invités entament le débat, abordent le thème du symposium, les " canons de la littérature francophone ", plus exactement ici en se posant la question de la survie de cette littérature à l’intérieur des règles ou hors des règles : "Sont-elles mortes ou vives /
Nos Belles-Lettres francophones ?"

– "Il est grand temps" de faire quelque chose signifie "il faut le faire vite, il est urgent et indispensable de le faire".

– "Il est grand temps que je marronne" :
"Marronner" se dit de l’esclave "marron" qui s’échappe de la plantation, qui s’enfuit, s’évade. Ici, il s’agit de s’émanciper par rapport aux "canons" littéraires trop rigides, de se libérer des règles strictes de la littérature classique (allusion à la recommandation d’Aimé Césaire à René Depestre l’exhortant à se dégager des contraintes de la versification classique prônées par Louis Aragon : "Marronner ! Il faut marronner").

– "Ni Code Noir ou blanc
Mais marron
"
Le Code Noir est un livre, ensemble de règles signé du roi Louis XIV à la fin du XVII ème siècle, réglementant " l’esclavage des nègres " aux Amériques (Antilles françaises et Louisiane), fixant notamment les châtiments corporels infligés aux esclaves fugitifs, allant jusqu’à la mort après divers supplices et mutilations.
Il y a un jeu de mots sur les deux sens du mot "marron" =
1/ marron = de couleur marron. (Comme les métis, à peau couleur marron, ni noir ni blanc.)
2/ "marron" = l’esclave marron, qui s’échappe de la plantation, qui s’enfuit, s’évade.

– "La « pastille » est une prescription de May Livory, un médicament poétique qui finit et commence par le même phonème à la rime " :
Ce poème est une "pastille", c’est-à-dire un poème qui commence en ayant le mot " tonnent " à la rime du premier vers, et finit par le mot "étonnent" à la rime du dernier vers.

– "moi, vu la forme oblongue de mon poème, j’ai plutôt fait une « gélule » — une « j’ai lu le… »…" :
Étant donné la forme allongée du poème, c’est plutôt une "gélule" (médicament de forme allongée, oblongue, ovale) qu’une "pastille" (de forme ronde) ; jeu de mots sur "gélule", et "j’ai lu le…"