Sur "ÉCRIT AU JUS DE CITRON VERT" Explications données aux traducteurs

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Sur « ÉCRIT AU JUS DE CITRON VERT » :

 Sens de l’incipit (la PREMIÈRE phrase) d’ "Ecrit au jus de citron vert" :

 P. 380 "Est-ce confiner à la folie que de consentir... qu’est sa part l’acte d’écrire ?" :
La structure est très française, en langage très soutenu, avec des constructions typiquement françaises. Voilà mes éclaircissements :
"Est-ce confiner à la folie QUE de consentir" : ici, le "que" est très français, il n’a qu’un rôle esthétique, aucune fonction grammaticale, et il est intraduisible, il faut faire comme s’il n’était pas là (comme le "ne" sans valeur négative dans, par exemple : "Je crains qu’il NE pleuve"). Ça veut dire, plus simplement exprimé, quelque chose comme : "Est-ce risquer de devenir folle, le fait d’accepter d’écrire…"
Attention ! Il y a un "DE" dans "qu’est DE sa part" ; "de sa part" = "venant d’elle", "pour elle", "dans son cas", "en ce qui la concerne" :
"(que) de consentir […] à se livrer […] à cet acte […] qu’est de sa part l’acte d’écrire " = "accepter de recommencer à écrire".
On pourrait même dire seulement : "Est-ce devenir presque folle, accepter d’écrire, chose impudique etc… ?" ou : "Risque-t-elle de sombrer dans une sorte de démence, si elle accepte de se mettre à écrire, activité impudique etc… ?"
Mais, bien sûr, l’ensemble est plus nuancé ; "confiner à" signifie en gros "être aux limites de" ("border line" ?) = "S’approche-t-elle d’une espèce de folie en acceptant de se remettre à écrire ?"

 380 "au sortir d’une hégire de silence obstiné" = "après une longue période passée sans vouloir écrire (= en refusant d’écrire)".

 384 "amoebée" :
Il sort tout droit de mes études latines. (Mea culpa !) C’est un adjectif, du latin "amoebaeus" ou "amoebeus" qui signifie alternatif : (chant, poème) alterné (à deux voix). Il exprime, dans mon texte, la dualité de l’être, le métissage. (Encore lui !) Il s’emploie pour des chants, des poèmes alternés, par exemple avec une personne qui chante un couplet, un verset, une strophe, puis la 2è personne qui à son tour chante ou récite un autre groupe de phrases. Dans le dictionnaire latin/français il est traduit par "amoebée" ou "amébée".

 215 « à qui elle a donné et s’est donnée » :
Le premier « donné » est utilisé de façon transitive ; son complément d’objet direct (sous-entendu) est « quelque chose, la vie ». On dit couramment « J’ai déjà donné » pour dire que l’on a été assez généreux ; par exemple, quand quelqu’un quête, on peut répondre « Non, j’ai déjà donné. » D’une manière générale, on dit même « J’ai donné » tout court, dans ce sens.

 216 (en bas) : « et que ma seule issue eût été de me fondre… pas hors de moi ! »
On est en plein fantastique, dans « Écrit au jus de citron vert » ! C’est une histoire à peu près aussi farfelue que Le Horla de Maupassant. Le narrateur, le « je », c’est l’ordinateur, qui voudrait n’en faire qu’à sa tête. Or c’est « elle », l’ écrivaine, qui décide de taper ou de supprimer des mots. L’ordinateur se dit qu’il lui aurait fallu pouvoir faire corps avec l’écrivaine (« me fondre au plus vite dans son moi »), entrer en elle, faire partie d’elle, fusionner avec l’auteure pour pouvoir contrôler ce qu’elle décide d’écrire ou de détruire (pour « qu’elle n’écrivît rien hors de moi » = pour que l’écrivaine n’écrive pas des textes qui déplaisent à l’ordinateur, qui le dépassent, le déroutent, qui ne tiennent pas compte de lui, de son intelligence artificielle).

 404 : Il y a un jeu de mots entre « qu’elle n’écrivît rien hors de moi » et « ne me mît pas hors de moi ».
La première fois, dans « qu’elle n’écrivît rien hors de moi », l’expression « hors de moi » est au sens propre, signifiant « en dehors de moi », c’est-à-dire que l’ordinateur veut que l’auteure écrive uniquement sur l’ordinateur, pas à la main, avec un stylo, sur des carnets : il veut pouvoir tout surveiller, pouvoir censurer.
Par contre, la seconde fois, l’expression « hors de moi « est au sens figuré, signifiant « en colère ». L’ordinateur en a assez de n’être qu’un outil, il se révolte, il est hors de lui (l’expression être « hors de soi » signifie « être furieux, très fâché, à bout de patience, ne plus pouvoir se retenir tellement on est en colère »).

 217 : « Nom d’un octet » : c’est un ordinateur qui parle, alors il jure avec un vocabulaire informatique, en employant le mot « octet », comme on jure en disant « nom de Dieu ! », « nom d’un chien ! », « nom d’une pipe ! » etc. Je me suis amusée à inventer ce juron, où l’on peut mettre n’importe quel mot du langage cybernétique ou informatique, par exemple, si c’est plus parlant et plus rigolo, « giga-octet » (= un milliard d’octets) : « Nom d’un giga-octet ! ».

 398 : le « vous » dans « Car condamner sans juger, ce n’est plus de la critique, réplique-t-elle à la moindre de mes objections, c’est du crime crapuleux, du meurtre, de l’exécution sommaire,
voire de l’assassinat avec préméditation, faisant de vous un meurtrier de droit commun. »
Ce « vous » dans « faisant de vous » est le troisième « vous » (qui n’est ni la 2è personne du pluriel ni le « vous » du vouvoiement, de formulation de politesse).
Ce « vous » équivaut à « on » avec fonction de complément = « faisant de on », qui serait du charabia, car « on » ne peut être que sujet, jamais « on » n’est complément, d’où l’emploi de ce « vous » qui équivaut à « on » en position de complément.

 402 : « De quel limon insane s’est-elle soudain vu féconder ? » : l’activité d’écrire est parfois vécue comme quelque chose de honteux, d’indécent et d’obscène ; « vu féconder » est orthographié ainsi car c’est elle que l’on féconde.
« Vu » est ici invariable, selon la règle d’accord du participe passé d’un verbe pronominal placé devant un infinitif : le participe passé ne s’accorde avec le pronom personnel réfléchi que si ce dernier est le sujet (ou l’agent) de l’infinitif, par exemple :
Elle s’est vue tomber. (C’est elle qui tombe.)
Elle s’est vu agresser. (C’est elle qu’on agresse.)
Mais « vu féconder » a, en gros, le sens de « vue fécondée ».

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