Sur "DE SUEUR, DE SUCRE ET DE SANG"
« DE SUEUR, DE SUCRE ET DE SANG » :
– 87 : "Man (Sonson) : correspond en gros à la "Mamy" des familles américaines sudistes, une sorte de gouvernante/maman. "Man" veut dire "madame", mais familièrement, et ne s’emploie pas pour les dames de la bonne société, seulement pour les femmes âgées, domestiques, de condition modeste.
– 88 : "devant-jour" : aube, aurore.
– 88 « Un titac » signifie « un peu ».
– 88 les "fleurit-six-mois" :
— Le nom exact des "fleurit-six-mois" est, je crois, "poinsettias" ; plantes vertes à feuilles vertes et rouges selon la période de l’année (d’où leur nom, puisqu’elle fleurissent six mois).
– 89 : « Avoir un gros poil » : Avoir un chagrin d’amour, quand on a été abandonné, rejeté par la personne aimée.
– 90 "Quelle espèce de chaud et froid elle est en train de chercher là ?..."
Et "le carreau tout brûlant"
Le "carreau" est le nom créole du fer à repasser. Un "chaud et froid" signifie "prendre froid", "attraper un rhume", avoir un refroidissement, quand on a repassé, donc eu chaud, puis froid, lorsque la sueur refroidit le corps. La sagesse populaire créole s’exprime ici, conforme à la science médicale.
– 90 : « Té-té-ké » est une particule verbale créole bégayée. En réalité c’est « té ké », l’équivalent du conditionnel « j’aurais fait ». L’ensemble « té-té-ké-ké-ka-pou-pouki » signifie, en bégayant, “j’aurais fait… pour … pourquoi”. (Emma n’entend plus que des bribes, des paroles entrecoupées.)
– 91 : "Driver sur la barrière" : référence à un proverbe créole : « Si l’anoli avait bonne viande, il n’aurait pas drivé sur la barrière ! », signifiant si l’anoli (= le lézard) avait une bonne viande, c’est-à-dire s’il était comestible, il ne se promènerait pas sur la barrière, par peur d’être capturé pour être mangé. D’où l’idée de se promener en toute tranquillité, en sécurité, en toute liberté, le rêve d’Emma, qui se sent la proie de son mari, de la société, de sa condition de femme, enfermée, menacée, alors que le lézard est libre. (« Driver » signifie se promener, aller et venir, se balader)
– 91 : « ça la changeait du centre ville et de la rue Isambert, ce bestiaire… » : « la » désigne Emma ; « ça change de » signifie « c’est différent de ». « Ça la change » veut dire : pour elle, Emma, c’est différent. Ici, à Haut-Didier (banlieue chic, résidentielle) c’est très différent du centre-ville, animé et commerçant, très achalandé, où Emma habitait avant son mariage. On est toujours dans la focalisation interne : tout est vu, perçu, ressenti à travers les impressions et sensations du personnage central, Emma.
– 92 : « la réprimande du siècle » : il s’agit d’une façon de dire bien française, exagérée, hyperbolique, souvent ironique, pour désigner quelque chose qui sort de l’ordinaire, qui ne se produit qu’une fois en un siècle, donc pas fréquent (extraordinaire en bien ou en mal). On dit, par exemple, « le mariage du siècle ».
– 93 : « pissecrette » : ici, femme, petite et de peu de valeur. (« Pissecrette » ou « pisquette » est un minuscule poisson pas plus grand qu’un petit doigt (un auriculaire).
– 94 : Bonda : fesses ; piment « bonda Man Jacques » : piment très fort, chaud comme les fesses de madame Jacques.
– 94 : Caco (kako) : Cacao, pour faire le chocolat. Un piment "caco" : couleur marron chocolat, mais très fort.
– 94 : Tray : plateau. (Un des quelques mots anglais passés tels quels en créole.)
– 95 : "blogodos" : paysans, rustres, pèquenauds, personnes mal dégrossies.
– 98 : « ne pas y perdre son latin » : l’expression française « y perdre son latin » signifie « être perdu, ne rien y comprendre ». Pour Emma, c’est l’inverse, elle n’a pas oublié ce qu’elle appris à l’école, mais elle a cessé de s’instruire, de progresser, depuis qu’on l’a mariée. D’où frustration, et nostalgie du temps où elle était collégienne. Emma aurait préféré pouvoir poursuivre ses études, plutôt que d’être transformée de force en femme au foyer.
– 98, 122, 157 : « Doucine » : néologisme formé sur le mot créole, à peu près synonyme de douceur, doux plaisir, dégustation (pour le punch, p. 98 : « une doucine de miel » : un adoucissement du rhum grâce au miel). Il peut même aller jusqu’à signifier jouissance sexuelle, plaisir intense, volupté : « prendre une doucine » = « se faire plaisir » (page 157, allusion au plaisir de bien manger assimilé au plaisir sexuel.) Attention ! Page 122, « doucines » est employé par antiphrase, ironiquement, s’agissant des coups, gifles, tout le contraire des caresses !
– 100 : « bâille Herminie » : il faut lire « bâille » avec accent circonflexe (c’est le verbe "bâiller" — et non "bailler" — signifiant ouvrir la mâchoire quand on est fatigué).
– 100 "pied-bois" (créolisme) : arbre.
– 101 : « faire la crase » (créolisme) : boire de l’eau pour apaiser le feu de l’alcool dans le gosier, pour diluer le goût du rhum donc « l’écraser », d’où l’image de « crase ».
– " Sa nostalgie ne l’empêche pas d’avoir un solide coup de fourchette, qu’elle soit en vermeil ou non " :
l’expression " avoir un bon coup de fourchette " signifie " avoir bon appétit, manger beaucoup " ; la fourchette peut être en vermeil, métal précieux constitué d’argent recouvert d’or, signe de richesse. La phrase veut dire qu’elle est vorace, qu’elle mange goulûment, avec ou sans couverts de luxe : les souvenirs et l’évocation du passé ne lui coupent pas l’appétit.
– " tite tafiateuse " : le mot "tite" est une abréviation de "petite".
"Ti", en créole, signifie "petit".
– "tafiateuse" (du nom "tafia" = rhum) : ivrogne, alcoolique.
– "des accras, une déchirade de mourue" :
Les accras sont des beignets de morue ; la " déchirade " c’est la morue cuite à l’eau, puis déchiquetée, émiettée, "déchirée", préparée en salade pimentée.
– malle-molle : musette, besace, petit sac de voyage souple, petite malle non rigide.
– "sacrée pistache !" : exclamation un peu comique, juron enfantin.
– « aux coqs pressés de coquiyoquer les premiers pour clamer leur suprématie, devançant le caquetage des poules » :
allusion au machisme et jeux de mots et de sonorités, d’autant plus qu’en créole, "forniquer", "faire l’amour" — sans amour — se dit "coquer"…
– Nota bene : Une brillante universitaire qui fait un cours de stylistique sur Rue Monte au ciel a levé un lièvre. En effet, notamment dans le chapitre "Ventre d’air", se sont glissées d’innombrables erreurs de guillemets et tirets, qui seront corrigées lors de la réédition. En attendant, l’auteure se tient à disposition pour fournir par courriel les éclaircissements nécessaires.
Post-scriptum : en cas de citation de deuxième rang dans le discours direct, l’auteure n’opte pas pour la manière obsolète qui consiste à faire débuter chaque ligne par un guillemet ouvrant, mais pour les guillemets anglais, pourtant vilipendés par les typographes de l’Imprimerie Nationale — tout en étant très employés, aujourd’hui. " Il faut être résolument moderne", dixit l’ami Rimbaud.