Entretien entre Aimé Césaire et Suzanne Dracius Aimé Césaire (lisant à haute voix le texte de sa dédicace) : — « À Elmire Dracius que la Martinique remercie entre autres choses d’avoir mis au jour la poésie, la vraie : Suzanne ! Merci ! »

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* - "Entretien de Suzanne Dracius avec Aimé Césaire" extrait de Prosopopées urbaines coordonné par Suzanne Dracius, éditions Desnel, 2006. Pour commander en ligne à l’éditeur (vendeur rank72 indépendant, pas « esclave » du géant, « politiquement correct ») cliquer ici

publié dans le tome V des Écrits politiques d’Aimé Césaire réunis par Édouard Delépine, éditions Jean-Michel Place, Paris, 2018, pages 285 à 290.

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(Incipit de l’entretien, extrait)
Aimé Césaire. — Bonjour, Rosalie ! Ou Simonise … Non ! Lumina. C’est Lumina que je vois en vous. Mais la Muse africaine, où l’avez-vous cachée ?
Suzanne Dracius. — La Muse Africa, elle est en moi, au fond de moi, n’ayez crainte.
Aimé Césaire. — Elle est un peu vous ?
Suzanne Dracius. — Oui, oui. Elle flotte autour de moi.
Aimé Césaire. — C’est bien. Vous l’avez bien rendu. C’est commode, la mythologie, hein ? Et c’est arrangé pour… Vous avez dit la vérité sur les Martiniquais. Je craignais beaucoup pour vous, parce que, pour la fin, la pauvre Lumina, édentée, boitant, misérable, c’était dur à faire avaler. Enfin… C’est bien. C’est un ouvrage intéressant, à tous les points de vue, et ce n’est pas une histoire avec une mythologie, mais elle est plus vraie que toutes les histoires, et la langue est très bonne, parce que ce n’est pas du créole, mais c’est un français tel, un créole tel, que les Français … Le métissage est réussi.
Suzanne Dracius. — Ah, je vous remercie.
Aimé Césaire. — Et c’était difficile à faire. Je trouve ça astucieux, la mythologie, ça vous dispense de faire une analyse politique, la voix de l’Afrique est là !
Suzanne Dracius. — Oui, voilà.
Aimé Césaire. — Et ça a un sens, la voix de l’Afrique. Et puis il y a une Martiniquaise, Indienne, on peut dire, qui s’appelle Rosalie, non ! Non : Simonise. Et Rosalie, qui est un peu là ! Je vous ai lue, n’est-ce pas ?
Suzanne Dracius. — Vous m’avez plus que lue, vous m’avez vue, vous m’avez débusquée jusque dans les moindres méandres ; ça, ça me fait plaisir.
Aimé Césaire. — Et je vous relirai.

(Conclusion de l’entretien, extrait)
Aimé Césaire. — Oui, c’est lui : c’était le meilleur angliciste de l’époque ; et son fils est devenu aussi professeur d’anglais. (Feuilletant les poèmes.) Et alors, il y a un autre poème de vous ?
Suzanne Dracius. — Oui, par contre tous mes textes ne sont pas encore là. Mais il sera dans l’anthologie, qui s’appellera Prosopopées urbaines.
Aimé Césaire. — Dans la préface ?
Suzanne Dracius. — Non, en tant que poème parmi les autres.
Aimé Césaire. — Donc je vous lirai !
Suzanne Dracius. — Pourrais-je avoir une dédicace pour ma maman ? Juste un petit mot, elle sera extrêmement contente, car elle vous admire beaucoup.
Aimé Césaire. — Son prénom, c’est comment ?
Suzanne Dracius. — Elmire.
Aimé Césaire (écrivant). — Donc vous m’avez dit : Madame Elmire Dracius ?
Suzanne Dracius. — Oui. Elle voulait que j’aille faire du shopping avec elle, ce matin ; je lui ai dit « Non, j’ai rendez-vous avec monsieur Césaire. » Donc, avec votre dédicace, je vais me faire un peu pardonner.
Aimé Césaire (lisant à haute voix le texte de sa dédicace). — « À Elmire Dracius que la Martinique remercie entre autres choses d’avoir mis au jour la poésie, la vraie : Suzanne ! Merci ! »
Suzanne Dracius. — C’est moi qui vous remercie ! Merci pour tout. Merci d’être.
25 janvier 2006,
Fort-de-France, la ville dont le Maire honoraire est un poète.

* Citation de la pièce Lumina Sophie dite Surprise de Suzanne Dracius (N.D.E.)

(Entretien publié dans Prosopopées urbaines, éditions Desnel, 2006)

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Le 10 avril 2019, au Panthéon, lors de l’hommage à Aimé Césaire à l’occasion de la publication du tome V de ses Écrits politiques réunis par Édouard Delépine (où figure l’ « Entretien de Suzanne Dracius avec Aimé Césaire * »), éditions Jean-Michel Place, il a, entre autres, été donné lecture du discours de la 1ère séance du 12 mars 1946 sur le « Classement de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane comme départements français », et, dans leurs allocutions, certains ont évoqué leurs doutes à propos de la départementalisation, reparlant autonomie, refus de l’assimilation, apparentes contradictions etc.
En novembre 2006, invitée aux USA au colloque de l’University of Illinois sur les 60 ans de départementalisation des DOM, avant de quitter le pays natal pour aller prononcer ma conférence intitulée « DOM : départements à part entière ou entièrement à part ? » (les actes du colloque ont été publiés dans l’International Journal of Francophone Studies), je suis allée voir l’auteur du Cahier d’un retour au pays natal pour lui demander ce qu’il pensait de la départementalisation, censée faire de nous des Français à part entière quoique entièrement à part et quoi qu’il advienne de nos desiderata.
Le grand homme m’a répondu d’une petite voix, mais fermement, avec l’aplomb de plusieurs décennies à la mairie de Fort-de-France et de près d’un demi-siècle de députation en tant que « parakimomène » de la Martinique, « celui qui la protège et la défend corps et âme », que si c’était à refaire, il le referait, peut-être différemment, car, dans sa grande sagesse créole, à l’antique et cicéronienne, Césaire n’avait pas attendu que Dylan ait le Prix Nobel de littérature pour savoir que « les temps changent ». « O tempora ! O mores ! » Césaire souhaitait être le « parakimomène » de la Martinique (en grec παρακοιμώμενος, mot à mot « celui qui couche auprès de »), titre porté par un haut dignitaire du palais des empereurs byzantins et conféré par édit impérial (διὰ λόγου βασιλικοῦ), c’est-à-dire que le titulaire était révocable au gré du souverain, l’une des dix charges palatiales « par édit », et la plus haute, spécialement réservées aux eunuques. Mais Césaire n’avait rien d’un eunuque, pas plus en politique qu’en poésie.

* "Entretien de Suzanne Dracius avec Aimé Césaire" publié dans Prosopopées urbaines, éditions Desnel, 2006.

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