Tu es immortelle, ô Maryse Hommage à Maryse Condé décédée le 2 avril 2024

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Tu es immortelle, ô Maryse, grâce à la magistrale magie de MOI, TITUBA, SORCIÈRE NOIRE DE SALEM. Tu as entrepris ton ultime TRAVERSÉE DE LA MANGROVE jusques aux rivages de l’Hadès pour gagner les Champs Élyséens caribéens où tu pourras deviser avec notre ami commun mais hors du commun, le Professeur Jean-Pierre Piriou, comme naguère en Géorgie dans ces champs de coton américains si chargés de symboles où souffrirent tant de personnes esclavées arrachées à l’Afrique, où tu m’as offert une carte que j’ai pieusement conservée jusqu’à présent, à laquelle est attachée, sous une protection transparente, une fleur de coton ; nous avions noté que la photographie montrait des jeunes filles blanches faisant, toutes souriantes, la cueillette du coton, mais l’image se gardait bien d’évoquer ne serait-ce que le souvenir des esclaves, des Africains pour la plupart, hommes, femmes et enfants travaillant sous la surveillance d’un gardien à cheval armé d’un fouet dans les plantations de coton jusqu’au milieu du XIXe siècle —, dans ces terres sudistes où tu m’as dit en riant, comme pour exorciser : « Nous, les écrivains, nous ne pouvons pas être vraiment méchants, car si nous en voulons à mort à quelqu’un, il nous suffit d’inventer un personnage à son image et de le tuer dans un livre ». Libations à Bacchus Liber (épithète qui signifie, en latin, à la fois « livre » et « libre »), et à tes Mânes, puisque tu m’écrivis « je t’envoie ce message pour te dire que j’ai beaucoup aimé ton livre. Je compare ton écriture à une flûte de champagne ».
Une avalasse de réminiscences émues noie l’affliction : c’est chez le même éditeur, Éditions Robert Laffont, sous le même label Seghers, dans la même collection « Chemins d’identité », que fut publié HEREMAKHONON - EN ATTENDANT LE BONHEUR de Maryse Condé en 1976, puis, en 1989, L’AUTRE QUI DANSE de Suzanne Dracius (finaliste du Prix du Premier Roman), réédité en poche par Jean-Paul Bertrand aux Éditions du Rocher en 2007. La signature du contrat se fit, à plusieurs années d’intervalle, pour toi comme pour moi, dans le même bureau place Saint-Sulpice tout en haut de l’immeuble, l’un ayant repris les locaux de l’autre. (Aujourd’hui ce qui fut le siège de respectables maisons d’édition est récupéré par une boutique de vêtements…)
Des lustres après, nous étant souvent croisées, non seulement en Guadeloupe, en Martinique et à Paris mais aussi à Trinidad & Tobago – à l’occasion d’une Semaine de la culture antillaise francophone mêlant littérature et gastronomie, domaine qui faisait tes délices, comme en témoigneront tes ouvrages Mets et merveilles, autobiographie, récit de voyage, roman de formation et livre de cuisine à la fois, qui constitue une suite à La vie sans fards, ainsi que Victoire, les saveurs et les mots –, et dans de nombreuses universités américaines lors de conférences et cours sur nos œuvres respectives, nous nous retrouvâmes chez l’éditeur anglophone Seagull Books (qui a publié en 2018 THE DANCING OTHER, traduction de L’AUTRE QUI DANSE, premier roman de Suzanne Dracius, traduit par Nancy Naomi Carlson et Catherine Kellogg), également éditeur de l’ouvrage de Maryse Condé ’QU’EST-CE QUE L’AFRIQUE POUR MOI ?’ qui te valut cette critique dans le Times Literary Supplement : " la romancière française des Caraïbes Maryse Condé, qui dénonce le " fatras de demi-vérités " contenu dans tant d’autobiographies, a écrit la sienne, rafraîchissante […] (traduit avec éloquence du français par Richard Philcox) un divertissant et occasionnellement humoristique compte-rendu des douze années que l’auteur a passées en Afrique à la fin des années 1950 et à la fin des années 60"…
Auparavant, les mêmes éditions CARAF Books (Caribbean and African Literature translated from the French, University of Virginia Press, Charlottesville and London) avaient publié I, TITUBA, BLACK WITCH OF SALEM, la traduction du roman de Maryse Condé MOI, TITUBA, SORCIÈRE NOIRE DE SALEM en 2009, puis, en 2012, CLIMB TO THE SKY, la traduction en anglais par James Davis de RUE MONTE AU CIEL de Suzanne Dracius.
Les photos et l’article de France-Antilles préservent le souvenir de nos émouvantes retrouvailles au Salon International du livre et de la presse de Genève 2019, avec également ton mari et traducteur, Richard Philcox, l’adorable Richard qui te traduisait brillamment en anglais, à qui j’adresse mes ferventes condoléances, ainsi qu’à tes très attachantes filles, Aicha, Leila et Sylvie Anne, à l’origine de la fondation de la « Kaz à Condé » à Pointe-à-Pitre, qui fut inaugurée sous l’égide du maire, Harry Durimel, du Conseil départemental présidé par Guy Losbar, et du délégué à la culture de la ville de Pointe-à-Pitre, notre talentueux ami Georges Brédent.
Tu avais une vingtaine d’années de plus que moi, aussi ne nous sommes-nous pas croisées à la Sorbonne pendant nos études respectives, mais, écrivaines devenues, comment ne pas nous remémorer le Congrès des écrivains et artistes noirs qui s’y est tenu en 1956 dans l’amphithéâtre Descartes, lieu riche en symboles, puisqu’il avait accueilli en 1948 la Déclaration universelle des droits de l’homme ? Les droits de la femme, nous ne pouvions que déplorer qu’ils n’y fussent pas à l’ordre du jour : il n’y eut guère de femmes à ce Congrès, à part Joséphine Baker et les soeurs Nardal, originaires de la Martinique, Jeanne et Paulette, qui fut la première femme noire inscrite à La Sorbonne, pour des études d’anglais, comme toi.
De même que Césaire était mon père poétique, tu étais ma Manman caribéenne en matière romanesque.
Ô paradoxe que tu dénonçais déjà de ton vivant : c’est maintenant que tu es morte que la plupart des gens se soucie de ton existence et que le vulgum pecus en entend parler. Jusque-là, comme tu le disais dans une interview au journal Le Monde (propos recueillis par Annick Cojean) :
« N’est-il pas surtout paradoxal que la France ne m’ait jamais donné de grand prix littéraire ? Cela veut sans doute dire que je n’y ai pas ma place, que j’y suis une étrangeté, que ma voix n’y plaît guère. Si j’habite désormais dans le Lubéron, c’est pour des raisons liées à ma maladie, et les soins remarquables dont on bénéficie dans ce pays. Mais je ne m’y sens pas en harmonie. J’y ai zéro reconnaissance. Tant pis. »

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