Sur L’ÂME SŒUR Explications données aux traducteurs & étudiants
L’AME SŒUR :
– 146 : « Bagages qu’on fait exploser » : des valises abandonnées, donc suspectes, qu’on fait sauter par mesure de sécurité.
– 146 « Certains se mirent […] à parler bombes, attentats » : dans cette phrase il n’y a pas de « de » après le verbe parler, car c’est une manière, en français soutenu, de dire la même chose, comme s’il y avait le « de », mais en plus élégant : « parler de bombes ».
– 149 : « ciels parme » : couleur violet pâle, une des teintes des magnifiques couchers de soleil de Martinique, rapides mais sublimes.
– 149 « la petite en allée » : la petite disparue, décédée. (Euphémisme pour « morte », plus poétiquement, en évoquant l’idée de voyage. Référence à L’autre qui danse)
– 151, « juvéniles » :
« se sentant juvéniles », « rajeunis », « revigorés », comme si c’était une source de jouvence, ce retour aux sources, en face de Gorée, qui représente l’esclavage (La Maison des Esclaves est un édifice historique situé sur l’île de Gorée, tout près de Dakar au Sénégal). C’est l’idée qu’eux ils parviennent à une reviviscence, une résilience par rapport aux traumatismes du passé, de l’esclavage etc., tandis que Rehvana n’y est jamais parvenue et en est morte.
– 151 : "capistrelle" : donzelle, jeune fille délurée.
– 151 : « la vieille Da » : périphrase désignant Cidalise. « Da » signifie nourrice, gouvernante. Dans la première nouvelle Léona aussi est appelée « da », « petite da ». Pour elle, ça correspond à « petite servante ». Le terme s’emploie dans les deux sens, et de nos jours, il s’est élargi. Récemment, la jeune universitaire haïtienne (qui est pourtant d’âge à être ma fille !) qui m’a invitée à faire une conférence à l’université de Montréal et m’a guidée à l’intérieur de la faculté m’a écrit qu’elle était « ma da ». Il y a là-dedans, aujourd’hui, de façon imagée, l’idée d’être dévouée à quelqu’un, de se tenir à sa disposition, de protéger cette personne etc.
– 152 :« dodine » : rocking-chair, berceuse.
– 152 « Balata bel bois » : « balata beau bois », citation d’une vieille chanson populaire. Ici, il s’agit de la berceuse (en balata, beau bois tropical), meuble créole traditionnel, sorte de rocking-chair, aussi appelé « dodine ».
– 152 « Acheter “à la zone” » : “à la zone”, c’est dans un grand centre commercial hypermoderne ; puis « à tempérament », c’est un mode de paiement en plusieurs fois, à crédit.
– 153 : « La grande dame du quartier Café » c’est Man Cidalise. En créole, “grande” veut dire “vieille”, comme quand on dit en français “les grandes personnes” par opposition aux enfants.
– 157 « Casser-corps » : créolisme. Faire un « casser-corps » signifie faire l’amour à s’en casser le corps, tellement on gigote et s’agite à s’en désarticuler !
– 157 « Études de grands-grecs » signifie simplement de hautes études, des études supérieures, des études très poussées, de haut niveau. En créole, « grand-grec » veut dire savant, instruit, cultivé, diplômé (sans doute, à l’origine, parce que les études étaient des études classiques de latin et de grec, mais aujourd’hui, le terme vaut pour tous les domaines du savoir).
- 158 : « Alors fils, sa ou fè ? ki nov ? Ba mwen nouvel-la, ti mal ! » : traduction en français : « Alors mon garçon, comment ça va ? Quoi de neuf ? Donne-moi de tes nouvelles, petit mâle ! »
– 159 : « Comme un chic chien » : on emploie cette expression créole de façon ironique, moqueuse, pour désigner quelqu’un de très élégant, coquet, apprêté comme pour une grande occasion, c’est-à-dire endimanché ; équivalent de l’expression française « sur son 31 », mais plus drôle, créole, car un chien ne peut être vraiment chic, c’est plus absurde.
– 160 : j’étais drôlement boulé » : « boulé » signifie saoul, ivre (plus haut, j’ai inventé le néologisme « punchtronné », à partir de l’argot français « pochetronné » signifiant « ivre » et de « punch », la boisson locale à base de rhum).
– p. 161 : « Bon ! C’est pas tout ça ! Mission accomplie ! »
Il s’agit d’une tournure bien française, populaire, presque un peu vulgaire : l’expression française « Bon ! C’est pas tout ça ! » signifie que quelqu’un s’en va ; c’est une manière familière de prendre congé, de se lever pour dire au revoir en suggérant que l’on a passé un bon moment mais qu’il faut qu’on s’en aille, qu’on a des choses à faire, sous-entendu, des choses moins agréables mais plus importantes ; on dit aussi, dans le même registre : « En bonne compagnie on ne s’ennuie pas, mais il faut que j’y aille ». ( « Il faut que j’y aille » signifie « Je dois m’en aller » ).
Il y a un contraste dans « Tout ça (= cette visite), c’est bien joli, mais j’ai encore d’autres choses à FAIRE, donc je vous laisse, je dois m’en aller. » Le contraste est, ici, entre l’importance de la « mission » que le père a accomplie et la légèreté, l’apparente indifférence, la désinvolture avec laquelle ce géniteur égoïste et irresponsable prend congé, de cette manière dégagée, alors qu’il vient de faire une révélation de la plus haute importance pour ses enfants, qui ont frôlé l’inceste ! Le macho s’en lave les mains, il a la conscience tranquille, il a fait son devoir, dit ce qu’il avait à dire, mais il a hâte de retourner à ses affaires, sa vie, ses femmes… C’est la caricature du père démissionnaire, du « coqueur » impénitent.