Hommage à Alexandre Cadet-Petit Ni le Cadet de nos soucis ni si Petit, Alexandre le grand artiste
Ni le Cadet de nos soucis ni si Petit, Alexandre le grand artiste
Il était un plasticien martiniquais aux mille talents polymorphes pétillant de créativité, débordant d’inventivité qui un jour se fit romancier, après avoir présidé à la pétulante destinée de l’hebdo humoristique et satirique Fouyaya qui égaya nos années 70 – 80. Ce pétillement, Alexandre l’avait dans l’esprit et dans le regard, vif, espiègle, comme dans ses éclats de rire homériques qui jaillissaient à brûle-pourpoint, donnant du piquant et du piment aux moments passés ensemble.
Me voici toute troublée en cette église des Terres-Sainville pour lui rendre un ultime hommage, dans ce quartier qui se trouve être mon quartier natal, où Alexandre aussi est né, où il vivait, où il créait dans sa petite maison atelier peinte d’un jaune vif comme ses yeux – vif et tendre à la fois, à l’instar de ses yeux dorés.
Je me souviens d’installations spectaculaires que fit ce brillant diplômé de l’École Nationale des Beaux-Arts de Paris sur le macadam du centre-ville de Fort-de-France, rue de la Liberté – bien nommée et bien en harmonie avec sa sensibilité marronne –, ou au cœur des bois dans les ruines de la sucrerie de l’Anse Couleuvre au Prêcheur, dans le Nord de la Martinique, avec une armada de poupées en lutte contre la société de surconsommation aliénante – petites « popotes » dérangeantes, voire apostrophantes –, ou bien, pour la célébration de l’Abolition de l’esclavage, à Saint-Pierre, de surprenants « États de Faits » avec des petites voitures au combat, drivant contre toute dérive de médiocratie bagnolarde ; ou encore, dans l’Agora du Conseil régional, de l’exposition intitulée « Urgence poétique » autour du peintre cubain Wifredo Lam, son plus haut fait d’armes, son plus haut fait d’âme. Commissaire de cette exposition qui le fit connaître du grand public, Alexandre mit notamment à l’honneur l’éclatante toile « La Jungle » inspirée par la promenade de Wifredo Lam en compagnie d’Aimé Césaire sur la route de Balata, la Trace, au milieu de la forêt tropicale humide. Auteur d’essais collectifs autour de la recherche en esthétique picturale, visionnaire ardent, inspiré, Alexandre était axé vers le Beau.
C’est surtout en tant qu’écrivain que j’ai eu l’occasion de le côtoyer souvent, en parrainant – ou plutôt en marrainant, devrais-je dire, car Alexandre était d’un féminisme de bon aloi –, son ouvrage La Femme, un roman de plus de 69 pages. Notre facétieux romancier y rend hommage à la Femme sous toutes ses facettes, la Femme dans tous ses états, et même la Femme dans tous ses atours, tour à tour amoureuse passionnée, engagée en politique etc. : il faut un « roman de plus de 69 pages » pour en faire le tour ! Au passage, Alexandre y décrète que « Dracius, c’est de la groseille fine ». (Comprenne qui peut ; je le prends pour un compliment et une vibrante preuve d’amitié.) La Femme, un roman de plus de 69 pages lui vaudra d’être lauréat de la prestigieuse Bourse de la Mission Stendhal de Cultures France en 2010. Ces activités littéraires nous ont conduits jusqu’en Belgique, au Salon du livre de Bruxelles, puis en Guadeloupe, au Congrès des Écrivains de la Caraïbe où le mutin me taquinait parce que j’étais membre du jury du Prix du livre caribéen, alors que lui aimait avoir l’embarras du choix sans être contraint de faire un choix. Nos derniers échanges littéraires eurent lieu à Marie-Galante dans la bibliothèque Guy Tirolien : belle rencontre très animée, en compagnie de son épouse Martine, à qui je présente mes sincères condoléances – et qui m’a demandé ce petit laïus pour Alexandre, in memoriam.
Je t’en adresserai la clausule directement, en latin, car tu aimais bien cette langue – nous avons mainte fois plaisanté à ce propos –, en vers impairs, verlainiens, afin de te dire adieu « sans rien qui pèse ou qui pose » :
Requiescas in pace,
Alexander amice !
Repose en paix, ami Alexandre !
Suzanne Dracius