LUMINA SOPHIE DITE SURPRISE - Préambule
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LUMINA SOPHIE DITE SURPRISE
PRÉAMBULE
« Brà »ler ! Je veux tout brà »ler !…  » Ainsi parlait Lumina.
Martinique, septembre 1870. L’insurrection bat son plein, au rythme des tambours de guerre. Le Sud est à feu et à sang. Révoltées par la misère liée à l’exploitation post-esclavagiste et un incident racial qui a mis le feu aux champs de cannes, des femmes, redoutables « Pétroleuses  », incendient les habitations. À leur tête, une simple couturière.
Aujourd’hui, si l’on demande aux écoliers martiniquais de citer le nom d’une héroïne de dix-neuf ans ayant sacrifié sa jeune vie à sa cause, ils répondent à coup sà »r : « Jeanne d’Arc  » ! Lumina Sophie a exactement le même âge. Elle est du même milieu rural. Mais elle est enceinte, pas pucelle. On ne la voit guère en sainte !… Elle aura un procès inique, sera condamnée, elle aussi, pour blasphème, fornication, sorcellerie, rébellion, actes de pillage, barbarie etc… Elle luttait pour la dignité et la liberté de son peuple. À ce titre, Lumina mériterait honneur et gloire. Cependant il y a, dans la Caraïbe insulaire, une sorte d’amnésie collective. Les traditions de résistance n’y ont guère laissé de traces. C’est ce pan de voile déchiré que lève l’auteure, explorant la conscience historique, offrant à l’imagination une mythologie créole renouvelée, à travers la vision d’une figure héroïque d’une grandeur plus qu’humaine, non seulement caribéenne, mais femme, de surcroît, en une langue métissée, aux effets tour à tour lyriques ou burlesques, en quête d’une contre-vision du passé.
Le « Connais-toi toi-même  » socratique revient alors en mémoire. « Gnôthi séauton !  » brà »le-t-on d’envie de leur souffler, quand on constate que même de jeunes Antillais cultivés connaissent mieux la « Pucelle d’Orléans  » que Lumina Sophie dite Surprise, qui, elle aussi, à peine sortie de l’adolescence, a pris les armes pour défendre son idéal, avant d’affronter à son tour la paille de la geôle, où elle accouchera. Pourquoi aller chercher si loin dans le temps et dans l’espace, jusqu’au fin fond du Moyen-Âge, jusqu’aux confins de la Lorraine, ce que l’on a tout près de chez soi ? Lumina est martiniquaise, elle vécut il n’y a même pas deux siècles.
Or, derrière le personnage historique rebelle et déterminé, se dessine une haute figure féminine, — farouche, aux accents éternels, aux dimensions universelles —, celle d’une très jeune femme amoureuse, enceinte d’un fidèle compagnon, Émile Sydney, au côté duquel elle se battit sans la moindre défaillance, mais dont elle sera séparée dans les derniers instants.
Lumina s’érige au centre de cette pièce comme elle s’est dressée à la tête des « Pétroleuses du Sud  » en lutte contre l’injustice, en révolte contre l’arbitraire, en marche vers une autre forme de société. Œuvrer à la mise en espace de ce moment d’Histoire, rendre la noblesse de ces simples cultivatrices créoles insurgées, de ces masses populaires en mouvement, démystifier ce qui pourrait apparaître comme compliqué, voire shakespearien, dans la texture dramatique allégée de traits d’humour d’un spectacle complet comprenant musique, chants, danses traditionnelles, danses créoles dites « de salon  » et cette danse de combat que l’on nomme « danmyé  » constitue donc un vrai défi, que l’auteure a choisi de relever, avec la volonté de muer son propre travail d’écriture en une expérience de la dramaturgie, gageure d’autant plus excitante que l’œuvre présente le double intérêt de mettre en lumière un fait marquant de l’histoire martiniquaise, — l’Insurrection du Sud de septembre 1870 —, tout en s’étayant de nombreuses autres références culturelles et symboliques, voire postmodernes.
De plus, non seulement les intérêts de l’héroïne éponyme, mais aussi ceux de tous les autres personnages s’avèrent être des notions qui nous parlent et nous concernent encore, à l’aube du XXI ème siècle.
Comment Lumina, inspirée par la Muse Africa, parviendra-t-elle, animée d’émotions et de sentiments divers, à convaincre tous les autres, encore prostrés sous le joug d’une résignation séculaire, que l’union fait la force, que savoir est synonyme de pouvoir, et qu’à force de volonté et de courage ils peuvent aspirer à un monde meilleur ? Telle est l’une des interrogations majeures du drame qui se joue ici, mâtiné du merveilleux antillais. Les protagonistes de ce « fabulodrame  » sont d’ores et déjà en action afin d’y répondre.
Femme de chair et de sang, fille du peuple entrée dans l’Histoire, Lumina Sophie dite Surprise n’est-elle pas digne de s’inscrire résolument dans les mémoires, s’ancrant dans l’imaginaire et la mythologie du peuple martiniquais ?