Extraits de Lumina Sophie dite Surprise

de Suzanne Dracius
jeudi 12 septembre 2013
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Citations de Lumina Sophie dite Surprise :

– Pas moyen de s’étaler dans les plaines comme ces Messieurs les « grands békés ».
Ce qui nous revient de cette terre, ce sont de pauvres lopins pénibles à faire fructifier, dans des terrains accidentés et des ravines à cabris où nous allons quotidiennement risquer de nous rompre le cou, où tout ce que tu peux escompter de dame Fortune, c’est de te retrouver mort en essayant de gagner ta vie !
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Je vous enseignerai la tolérance, l’acceptation des différences. La tâche est rude ! Aussi loin que porte ma vue, j’ai le regret de vous confirmer solennellement que ce sera toujours la guerre, pour toi Madame, pour toi Monsieur ! La lutte perpétuelle : Madame AVEC Monsieur, ou Madame PLUS Monsieur, tous deux alliés CONTRE l’ennemi, le suceur de sang, l’affameur, l’empêcheur de zouker en rond, le contempteur de jours fériés à la Toussaint, le fossoyeur de Carnaval…
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Assez de déchirures ! (Citant le journal.) « À Rivière-Salée, au Marin, au Saint-Esprit, au Vauclin, au Lamentin et jusqu’au fin fond du Gros-Morne, dorénavant nègres et Indiens fraternisent. » À Rivière-Pilote aussi ! Voilà ce qui soude un peuple. C’est comme cela que se fonde une nation. Ensemble, nous serons vainqueurs.
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Qu’est-ce que c’est que ce bankoulélé ? Nous n’arriverons à rien si nous perdons notre temps à regarder qui est kouli, qui est négresse, qui est mulâtresse ou câpresse. Nous sommes des femmes de ce pays, des personnes humaines, cela seul compte, et nous ne comptons qu’à ce titre. En tant que femmes, nous avons des droits, mais aussi des devoirs. À commencer, déjà pou yonn : ne pas nous dérespecter, ne pas nous jeter des rats morts au visage pour des comparaisons de couleur de peau ! En vous chamaillant comme des chiffonniers, vous ne voyez pas que vous faites le jeu de ceux pour qui c’est tout bénéfice que nous soyons désunies ?
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Car notre union fait notre force. En bataillant pour des vétilles de tignasses grainées « petits zéros » ou de cheveux plats indiens, vous servez les intérêts de nos ennemis, ceux qui s’engraissent sur nos crânes, crépus ou non, en nous dressant l’un contre l’autre.
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– La barbarie, on vit dedans : c’est un franc cinquante de paie pour le coupeur de canne, alors qu’un pain de un kilo coûte déjà la moitié ! Les barbares, c’est trois, quatre, cinq gros usiniers qui s’enrichissent à milliards sur quelques milliers de braves nègres obéissants et travailleurs ! Ils versent notre sueur, notre sang, pour faire leur sucre !
— Un sucre amer !
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– C’est donc un comble, de traiter de barbare le Grec ! Les cendres du père Aristote doivent se retourner dans leur urne ! Ce ne serait pas pour me déplaire : n’a-t-il pas l’audace d’estimer qu’il y a deux sortes d’outils : les non-parlants, tels que charrues, marteaux, enclumes, et les outils parlants, c’est-à-dire les esclaves ? Ô crime contre l’humanité !
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Je ne prétends ni vous convaincre, ni vous vaincre, mais que vous transmettiez un message aux futures générations. Je ne vous suggère pas de vous rendre, mais de vous rendre célèbres, de vous transformer en mythes.
— Essaie de me changer en mite ! Hein, tu vas voir…
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Vous n’y êtes pas ! Je vous crée une mythologie.
— Une mite au logis ? Très peu pour moi ! Remballe-moi ça et débarrasse le plancher !
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Et ni l’ami Montesquieu ni l’ironie de Voltaire ne purent endiguer l’esclavage.
— Jamais vu ces bougres-là, ni monter ni descendre, ni vol ni terre. On ne connaît pas tout ton fatras, sacrée pistache ! On te l’a déjà dit, comment ? !
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.
Une amende de cinq à cent francs ? Autant dire cinq à cent journées de travail !
— Autant dire l’impossible !
— Autant dire la mort.
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Moi qui sais lire, j’ai découvert qu’un sieur Fénelon, gouverneur de la Martinique, ne s’est pas gêné pour écrire : « Il faut maintenir les Nègres dans l’ignorance, c’est la sécurité des blancs qui l’exige. » J’ai dû tricher et me faire étriller pour apprendre l’alphabet en cachette ! J’ai failli me faire tuer pour ça. Alors, qu’est-ce que tu me chantes, avec tes fables d’écoles pour nègres où l’on glorifierait des filles ?
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– LA MUSE AFRICA. — Quand vous pourrez déclarer : je ne connais pas un petit mâle ou une seule petite femelle qui ne sache lire, écrire, compter, quand lui vient l’âge de raison. Toutes gamines et tous garnements multicolores étudient côte à côte, sur les bancs du même collège, du même lycée, de la même université…
SIMONISE. — Ouaille ouaille, mi rêve éveillé !
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Quand je pense que le béké a eu le culot d’écrire, sur le comptoir de la boutique : « Payez vos dettes ! Les crédits sont agonisants », pour des gens qui ne savent pas lire, pour la majeure partie !
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Vois ça, par exemple ! Je n’invente rien : c’est dit au Conseil Général ! C’est un gros planteur qui laïusse… Au lieu de chigner, laisse-moi te lire comment mussieu a osé baratiner, sérieux comme un pain de quat’sous : (Elle toussote pour s’éclaircir la voix et lit.) « Quand je frappe un employé, c’est parce que je pense que son devoir et son intérêt sont de marcher avec moi ; je suis persuadé que je défends l’intérêt général, et chaque fois que cet intérêt l’exigera, je n’hésiterai pas à remplir ce que je considère comme un devoir. »
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Tu ouvres ta bouche ? Bain de sang. Tu lèves un peu plus haut la tête, elle dépasse du champ de malavoi, tu réclames ton dû ?
— Bain de sang !
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Je me moque bien de savoir ce qu’ils ont à dégoiser, ces bourreaux-là !
— Tu as tort : savoir, c’est pouvoir.
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Une aube viendra où les enfants d’Afrique apprendront à se méfier de certaines chapelles... Lorsqu’ils seront confrontés aux pratiques moyenâgeuses des grandes nations ultramodernes… Quand on aura défoncé à coups de hache, au petit matin, — « l’heure légale » — la porte d’une église consacrée où ils avaient trouvé asile, quand on les aura chassés manu militari, hommes, femmes, nouveau-nés, vieillards, poussés comme du vulgaire bétail sur le pavé d’une métropole prétendument civilisée, sous prétexte qu’ils étaient sans papiers, ils n’auront plus tellement confiance… Mais ils y auront mis le temps ! Tantôt sans papiers, les nègres d’Afrique, tantôt sans terre ou sans âme. Il leur manque toujours quelque chose, à en croire certains beaux esprits, et même pour des aréopages de quidams érudits ! Le nègre est toujours sans ceci ou sans cela…
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– On a tellement discuté, à la fameuse Controverse de Valladolid, pour savoir s’ils avaient une âme sous leur peau noire, les nègres qu’on est allé voler à l’Afrique ! C’étaient les grands chefs catholiques qui se posaient cette question subtile... Et vous devinez la réponse ? Vous donnez votre langue au chat ?... La réponse fut « NON, sans doute »...
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.

– Pourquoi aller chercher si loin dans le temps et dans l’espace, jusqu’au fin fond du Moyen-Âge, jusqu’aux confins de la Lorraine, ce que l’on a tout près de chez soi ? Lumina est martiniquaise, elle vécut il n’y a même pas deux siècles.
Suzanne DRACIUS, Lumina Sophie dite Surprise.