Magazine Air France Outremer n°5 - Juillet/Août/Septembre 2013

Interview Confidence "Suzanne Dracius, écrivain et insulaire positive !"
mardi 6 août 2013
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Magazine Air France Outremer n° 5 - Juillet/Août/Septembre 2013, pages 44-45
INTERVIEW confidence

SUZANNE DRACIUS, ÉCRIVAIN ET INSULAIRE POSITIVE !

SUZANNE DRACIUS EST ÉCRIVAIN ET POÈTE MARTINIQUAISE. PROFESSEUR DE LETTRES CLASSIQUES, ELLE A ÉTÉ RÉVÉLÉE EN 1989 PAR L’AUTRE QUI DANSE. AUJOURD’HUI, SES ROMANS, NOUVELLES, PIÈCES DE THÉÂTRE OU POEMES, SONT TRADUITS EN PLUSIEURS LANGUES. EN 2010, ELLE A REÇU LE PRIX DE LA SOCIÉTÉ DES POÈTES FRANÇAIS POUR L’ENSEMBLE DE SON ŒUVRE. RENCONTRE.

Comment grandit-on, poète et femme, à l’ombre d’un homme et auteur aussi imposant que Césaire ?

Césaire a une importance capitale dans ma vie, depuis toujours : dans la bibliothèque de mes parents, j’avais trouvé le Cahier d’un retour au pays natal, ça a été pour moi une illumination ; j’ai été éclairée, y compris par la notion de négritude. Plus tard, quand j’ai publié mon premier roman, j’ai su que mon écriture lui plaisait. Puis je l’ai rencontré. Sur le modèle de sa « négritude », j’ai forgé un néologisme, la « féminitude », comme une façon d’apprivoiser le féminisme si décrié, dans une même démarche universelle, pour se sentir bien dans sa peau de femme, ce qui fait du bien aux hommes aussi ! Césaire ne m’a pas quittée ; je vis avec lui une relation d’intense reconnaissance… Et, même s’il faut l’adapter, le concept de négritude est pour moi fondateur. Je me sens près de Césaire comme une petite plante, une impatience, cette fleur qui grandit forte de l’ombre dont elle bénéficie, à l’abri d’un grand arbre.

Vous êtes Martiniquaise, une îlienne. Que signifie pour vous la notion d’insularité ? Marque-t-elle votre écriture ?

L’insularité est mariée aux notions de métissage et de marronnage. Je suis de cette île, 100% Martiniquaise, et j’ai en moi tous les sangs qui se sont mêlés en Martinique plus ou moins passionnément : sang de l’Africain déporté en esclavage, colon blanc de France, Indien « coolie », descendant de neg marron du nord de l’île, et du côté de mon père, l’ascendance des rares Caraïbes qui ont survécu, et puis une arrière-grand-mère chinoise... Je suis de cette île qui est un univers clos, mais je ne suis pas enfermée : mon insularité est ouverte sur le monde, cette île est un microcosme où circulent une multitude de cultures, où nous avons accès au monde entier. Je suis une insulaire positive. Cela a donné à mon écriture de nombreuses couleurs, un patrimoine linguistique multiple, un imaginaire singulier et pluriel à la fois. J’écris en langue française et n’ai pas de problème à l’intérieur de la langue française mais j’y apporte mes petits plus. J’y pénètre comme dans une habitation ouverte, offerte, j’y fais entrer le créole, mais aussi le latin et le grec, cette culture gréco-latine qui a renforcé ma complicité avec Césaire. Ces langues, ce n’est pas anodin, irriguent, innervent mon écriture en une relation entre passé et modernité axée vers un néo-humanisme.

Écrivain et poète, qu’êtes-vous d’abord ?

La poésie, c’est le genre noble par excellence. J’ai commencé par écrire des poèmes mais je considère que la poésie est un endroit où on se livre beaucoup. C’est pour moi un domaine bien plus impudique que les romans. Je suis venue plus tard au roman, dont la structure permet d’accueillir aussi bien la théâtralité que la poésie. Lors de la sortie de L’autre qui danse, un journaliste l’a qualifié de « poème en prose autant que roman ». L’alchimie du verbe intervient dans l’écriture romanesque, c’est elle qui crée les petits bonheurs de lecture qu’on y découvre. Je ne publie pas toute la poésie que j’écris. Par pudeur. Ce n’est pas moi qui choisis le genre littéraire de mon œuvre, c’est le thème qui m’impose une forme ou une autre.