Présentation de FRONTIÈRES AD LIBITUM, dirigé par Suzanne Dracius, par Michel Bénard à la Société des Poètes français, 7 avril 2023

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Présentation de FRONTIÈRES AD LIBITUM, anthologie dirigée par Suzanne Dracius, au siège de la Société des poètes français, 16, rue Monsieur le Prince, Paris 6e, par Michel Bénard, vice-président de la Société des poètes français, le 7 avril 2023.

Frontières ad libitum

C’est avec le plus grand plaisir que nous accueillons aujourd’hui au siège de la Société des Poètes français dans le cadre de nos partages et rencontres poétiques, littéraires et artistiques, une femme et amie aux multiples fonctions allant jusqu’au bout de ses engagements militants contre vents et marées, Suzanne Dracius, qui est bien connue, reconnue et appréciée pour ses combats au service des causes humanistes, minoritaires, identitaires diverses.
Beaucoup ici connaissent Suzanne Dracius et j’éviterai de revenir sur son brillantissime cursus et pléthorique palmarès, néanmoins par quelques exceptions je confirmerai la règle de la sobriété. Rappelons cependant que notre amie latiniste et helléniste étudia à la Sorbonne, fut professeure universitaire de Lettres classiques, enseigna à Paris, en Martinique et aux USA.
Femme de lettres prolixe et éclectique, son œuvre est composée de romans, nouvelles, essais, théâtre et poésie. Une œuvre qui fut très récompensée que je ne résumerai qu’à trois prix, le Prix Fetkann, le Grand Prix de la Société des Poètes français pour l’ensemble de son œuvre, et le Prix Virgile-L.S. Senghor du Cénacle européen des Arts et des Lettres.
Aujourd’hui c’est un sujet bien précis, celui de la liberté, de l’abolition des frontières qui nous rassemble, mais hélas, alors que nous devrions être dans l’ouverture, le partage, l’humanisme, l’unité et le respect, ce dernier s’impose à nous de plus en plus sous son aspect réducteur et obscurantiste.
Les frontières, thème n’ayant rien à voir avec le hasard et qui est celui du Printemps des Poètes 2023, est de plus en plus d’actualité dans ce monde où les tyrans, les dictateurs prolifèrent en signant des coalisations menaçantes donnant froid dans le dos.
Cette anthologie – Frontières ad libitum – publiée aux éditions IDEM, fruit de l’engagement de Suzanne Dracius, tombe à point nommé.
Engager une semblable action demande beaucoup d’opiniâtreté, car c’est une lourde tâche, une intense et précise organisation, entre les auteurs souvent peu disciplinés, le maquettiste, l’éditeur, et je fais abstraction de l’imprimeur qui nous réserve parfois des surprises auxquelles nous ne nous attendions pas.
Revenons au fruit du travail de notre amie et à son résultat flamboyant. L’approche de cette anthologie est magistrale, l’engagement n’a rien d’insignifiant car Suzanne Dracius rassemble sous la même bannière des poètes au féminin et masculin de tous les continents, à commencer par son île natale, qu’elle a au cœur, la Martinique.
Voici une anthologie qui se fait porteuse des joyaux multiples de dizaines de pays regroupant plus d’une soixantaine de poètes connus ou moins connus, mais chacun s’exprimant avec sa personnalité, sa couleur d’expression, rehaussée de la note intime de sa culture.
Paradoxalement, Frontières ad libitum est une histoire d’armistice, car l’appel pour l’anthologie a eu lieu un 11 Novembre ; il me semble une fois de plus que le hasard n’existe pas. Alors prenons cela comme un signe avant-coureur et porteur d’espérance, ce qui n’est pas un luxe à l’heure où le déchirement des bombes, le grondement des chars et les combats de rues et de tranchées se réveillent en différents points du monde qui se retrouvent entre les mains des tyrans et sur ce plan, au risque de faire sourire Suzanne Dracius, car à quelques rares exceptions je ne vois pas l’équivalent au féminin, « tyrana » peut-être ? Indéniablement les femmes sont détentrices de la vie, pas d’intentions belliqueuses ni guerrières, elles ignorent les exactions qui sont hélas le pitoyable privilège des hommes.
La formule latine « ad libitum » signifiant à volonté, à plein gré, retenue par Suzanne Dracius est une idée des plus judicieuses car c’est une véritable ouverture sur les significations multiples des frontières qui, au-delà des aspects géographiques, politiques, englobent les multiples aspects de la vie ; les frontières peuvent être physiques, morales, raciales, sentimentales, religieuses et peuvent varier ainsi à l’infini.
Suzanne Dracius donne à son anthologie l’envergure d’une haute et noble liberté, comme emportée dans un souffle musical, une inspiration ouverte sur le monde des femmes où le poème se fait libérateur et le verbe sans frontières.
« Ad libitum » libre, à satiété, dans un élan de symboles migrants et métissés brassant pour notre plus grande satisfaction de multiples nationalités, dont, pour paraphraser Suzanne Dracius, les mots franchissent les frontières, défient l’imaginaire et nous désenclavent, ils pourraient même nous déraciner pour nous transporter au-delà des frontières de toute nature.
Le poète, utopiste par nature, voudrait voir la terre libre vouée à l’équité et à la justice, les barrières abolies, les guerres et leurs cortèges de mort et de misère relégués au fond des placards de l’oubli. Oui c’est un rêve, une illusion, cependant la poésie peut ériger un autel dédié à l’espoir, cimenter un temple consacré à l’amour.
Vous connaissez l’effet papillon, où certains poètes voient un monde à réinventer, un toit à ciel ouvert, une ivresse sacrée ou païenne, une œuvre insoumise aux dictats, un rêve inversé, une infinie leçon de sagesse, une symphonie pour l’humanité, un chant de la terre.
Suzanne Dracius y voit d’« oxymoriques frontières » qui « riment, hélas, avec guerres » ! Elle écrit également : « La frontière, indépendamment des différents sens auxquels renvoie le terme, ne se résume pas à une simple ligne réelle ou imaginaire séparant distinctement deux espaces, deux éléments ou deux réalités ; elle peut aussi prendre la forme d’une étendue. »
À l’heure où se réveillent les populismes, les homophobies, les intolérances, les obscurantismes, qui ne sont que les enclaves de l’ignorance ou espaces de détention de la raison, nous ne pouvons que saluer le baume au cœur, cette anthologie de Suzanne Dracius, Frontières ad libitum nous transportant au-delà de toutes ségrégations, de toutes formes de racismes, d’exactions, de haines et de violences banalisées par les médias et vulgarisées par les réseaux dits sociaux.
Notons que lorsqu’un peuple fait l’autodafé de ses livres, c’est un peuple en voie de disparition, prisonnier par l’enfermement de ses frontières et l’archaïsme de ses dirigeants.
Il ne nous reste plus alors qu’à espérer en la poésie, en la bonne volonté et juste sens de l’humanité. Parce qu’à l’instant où l’homme renonce à ses rêves d’enfance, c’est une capitulation face à la vie.

Michel Bénard

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