Réponses à propos de "L’AUTRE QUI DANSE"

& explications données aux traducteurs
dimanche 4 janvier 2009
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(Les numéros de pages indiqués sont ceux de l’édition de poche des éditions du Rocher, collection Motifs)

D’une manière générale, il est souhaitable, dans les traductions, de conserver les realia, mots ou expressions créoles qui sont des termes spécifiques à la culture créole, à l’environnement et l’imaginaire créoles, tels que « accras », « i salé ! » etc. — dont le sens est rendu accessible, compréhensible grâce au contexte, par divers tours stylistiques dont vous me permettrez de garder secrètes les recettes —, tout en aidant quand même un peu, éventuellement, le lecteur ignorant du créole par des équivalents entre parenthèses.

• Mini-glossaire sur L’autre qui danse :

– Baklava (du persan bâqlavâ) : dessert traditionnel commun à tous les peuples de la Perse et de l’ancien Empire ottoman. Il est le gâteau national en Bulgarie, en Grèce, en Turquie, dans les Balkans, au Moyen-Orient et au Maghreb. Cette pâtisserie, également répandue chez les Arméniens et les Chypriotes, est un mets très sucré constitué de pâte phyllo, de sirop de sucre (remplacé par du miel en Grèce), et, selon les recettes, de pistaches, de noix ou de noisettes. On en trouve beaucoup dans les quartiers nord de Paris fréquentés par les immigrés (XVIII ème, XIX ème et XX ème arrondissements).

– BEPC  : aujourd’hui, Brevet des Collèges ; examen que passent les élèves à la fin de la classe de Troisième (vers 14-15-16 ans), avant d’entrer éventuellement au lycée en classe de Seconde (Second Cycle des études secondaires).

– Budé : livre de la « Collection des Universités de France », dite « Budé » (de l’association Guillaume Budé) des éditions Les Belles Lettres (Paris), publiant des ouvrages en latin et en grec d’auteurs de l’Antiquité.

– Bumidom : Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer, créé en 1963 ; c’est un organisme public français chargé d’accompagner l’émigration des habitants des départements d’outre-mer vers la France métropolitaine. Surnommés les Bumidomiens, ces migrants antillais et réunionnais occupèrent des emplois subalternes dans la fonction publique, les hôpitaux, la poste (PTT), les transports en commun etc.

– Bwa-bwa (mot créole) : marionnette, pantin. Au Carnaval, le bwa-bwa est une caricature géante de l’homme de l’année (plutôt en mal qu’en bien !), par exemple un personnage politique qui a fait sensation ou scandale, ou une allégorie matérialisant un fait marquant (par exemple, l’arrivée de l’euro en 2001). Roi éphémère du Carnaval, aussi appelé "Vaval", il est brûlé au bord de mer le soir du mercredi des Cendres, marquant la fin du Carnaval.

– Calazaza (kalazaza) : Antillais(e) très métissé(e) à peau claire, traits fins, cheveux frisés ou bouclés, quelquefois clairs ou roux, et parfois aussi yeux clairs.

– Calebasse : fruit du calebassier à écorce résistante, de forme oblongue, sorte de courge ; les deux moitiés, vidées et séchées, sont utilisées comme récipients nommés coui ou kwi, en créole.

– Court-bouillon : préparation culinaire consistant à faire cuire du poisson dans un court bouillon (environ dix minutes dans l’eau bouillante) de jus de tomate et d’aromates.

– Déchirade (ou chiquetaille) : préparation culinaire créole de poisson séché : morue (cabillaud salé et séché) ou hareng-saur (hareng fumé) finement émietté (comme "déchiré") puis épicé.

– Halva : pâtisserie orientale aux pistaches ou aux amandes.

– Kadaif (pâtisserie orientale) : rouleaux de cheveux d’ange aux amandes.

– Kayali (mot créole) : oiseau de Martinique aux longues pattes effilées.

– Khol : fard à yeux d’origine orientale.

– lafouka (p.59) : danser lafouka, c’est danser très « collé-collé », « collé-serré ». Ici il danse tout seul, en remuant ses hanches et en se frottant à une cavalière imaginaire, un “impossible merengue”.

– Maté (mot créole) : callipyge ; se dit d’un derrière aux fesses rebondies, bien rondes, proéminentes comme… un mât !

– Must (mot anglais) : accessoire de mode, sac à main très "tendance", de marque, authentique ou d’imitation (mot à mot : "que l’on DOIT avoir pour être à la mode).

– Rahat-loukoum ou lokoum (de l’arabe) : confiserie orientale à base de pâte parfumée et très sucrée.

– Sinobol (p. 235) : mot inspiré de l’anglais « snow ball » (boule de neige) qui désigne une friandise, une sorte de dessert à base de glace pilée avec du sirop dessus (sirop de grenadine, menthe, orgeat).

– Sucrier : petit oiseau des Antilles très friand de sucre.

– Tchololo : nom créole donné à l’eau de café, un café très léger, très dilué, pas fort du tout, presque sans goût, que l’on donne parfois aux enfants.

– Ylang-ylang (Cananga odorata), ou ilang-ilang : arbre de la famille des Annonacées, originaire d’Asie du Sud-Est, cultivé pour ses fleurs dont on extrait par distillation une huile essentielle très utilisée en parfumerie.

Questions d’un internaute :

– D’où vient le prénom "Aganila" ?
Réponse de l’auteure :
Comme le prénom des deux autres personnages, Rehvana et Matildana, le prénom Aganila est issu de la chanson de Curtis Louisar auquel L’autre qui danse rend hommage (cf. page 10), avec l’autorisation de ce dernier. Suzanne Dracius explique que les prénoms de ces trois protagonistes lui ont été inspirés par la chanson de Curtis Louisar, « Aganila » : « Quand Curtis a lu le manuscrit, arrivé à la scène du jeûne des Ébonis, il a tressailli : son frère avait vécu la même chose… “Nous sommes frère et sœur”, m’a-t-il dit. » Le roman pourrait être lu comme une allégorie de l’aspect pernicieux du mythe de la mère Afrique : Rehvana serait la mère-continent idéalisée, tandis qu’Aganila serait la fille, c’est-à-dire Rehvana elle-même (voir l’article d’Odile Ferly, "Diversity is coherence : Métissage and créolité in Suzanne Dracius’s L’autre qui danse). Cette allégorie apparaît dans l’évocation/invocation du Chant premier, dans le chapitre intitulé « L’Alliance initiale », où le prénom « Aganila » — qui sera par la suite donné à sa fille par Rehvana — est celui d’une divinité africaine mythique que la jeune femme appelle à son secours :
« Africa vera verissima
Africa Rehvana vera
Aganila ! » (p. 21)

– Pourquoi les épaules de Matildana sont-elles " naturellement marronnes et fleurdelisées d’éphélides " ?
Réponse de Suzanne Dracius :
Dans le portrait de Matildana (pages 43-44) :
« Matildana, les épaules fortes, vastes épaules aux minceurs vigoureuses, libres, naturellement marronnes, et fleurdelisées d’éphélides (oui, elle porte à l’épaule la fleur de lys de l’esclave convaincu de marronnage, elle fut marquée, non au fer rouge, mais d’une mélanine victorieuse dès avant sa naissance, en même temps qu’au creux de ses reins se dessinait la tache mongole de ceux-là qui s’aventurèrent des terres jaunes de l’Asie aux confins de la Terre sans nom, […] America », le jeu de mots sur "marronnes", évoquant à la fois la couleur de peau et la notion de liberté, puis la métaphore " fleurdelisées d’éphélides " (les taches de rousseur de la mulatresse formant une fleur de lys) forgent une alliance entre l’héritage africain (par le biais de la mention du marronnage), ceux des Caraïbes, et ceux de la France : la fleur de lys était le symbole de la royauté française, mais aussi le signe utilisé pour marquer au fer rouge l’esclave fugitif, le marron, selon le Code Noir édicté par le roi Louis XIV (voir Rue Monte au ciel page 16) :
" Il ne vivrait pas jusque-là. Pour Léonard, le seul salut restait dans le marronnage. Il n’avait plus rien à perdre, lui, l’esclave de Saint-Pierre. Même s’il savait de quels supplices était puni le marronnage… Même si lui, Léonard, savait, pour l’avoir perçu dans sa chair, que le marron était poursuivi comme du gibier, avec les molosses, les chiens à nègres, pourchassé jusque dans les mornes, à coups de fusil, et abattu sans sommation s’il refusait de se rendre. Se rendre ! Pourquoi ? Pour que le maître ait le droit, puisque Le Code Noir l’y autorise, de lui couper le jarret, de le marquer au fer rouge sur l’autre épaule ?… Car il est récidiviste, l’esclave Léonard. La première fois, quand on l’a repris, il a eu les oreilles tranchées, on l’a marqué comme une bête d’une fleur de lys sur l’épaule gauche. Il n’y aura pas de troisième fois. Il sait que l’esclave fugitif est puni de mort. (C’est écrit. Bien qu’il ne sache pas lire, Léonard ne peut ignorer, parce qu’il a vu les pendaisons et autres « exécutions exemplaires », et parce qu’on le lui a dit et répété, sans ménagement, qu’esclave, si tu marronnes deux fois, au troisième coup, si on te tient, tu risques la mort !)".

Questions de Lea Oliveri, la traductrice italienne de L’autre qui danse et de traducteurs en anglais, espagnol etc. :

– Tout d’abord, le titre : en français il maintient une parfaite ambiguïté, car il concerne « une autre », personnage féminin du livre et, en même temps, « un autre », l’homme qu’on retrouve dans la citation tirée du texte théâtral d’A. de Musset (p. 21). Malheureusement en italien on doit choisir entre le féminin « l’altra » ou le masculin « l’altro » et il est aussi difficile d’utiliser un autre mot, un synonyme neutre, sans altérer le sens de la phrase. Avez-vous une suggestion à me donner ?
Réponse de l’auteure : Hélas, non, je ne vois pas. Alors il faudrait opter pour « l’altra » qui l’emporte quand même, puisque "l’autre" désigne avant tout Mathildana, qui "danse" — y compris au sens symbolique de liberté et d’épanouissement—, alors que Rehvana se prend les pieds dans ses racines et ne danse pas (cf. la scène de la fête, au début : "on sait que deux ne dansèrent pas").

– J’ai toujours imaginé Rehvana et Matildana comme une double émanation du moi qui narre. Celui-ci, à mon avis, à travers ces deux personnages, a pu mettre en scène non seulement une opposition idéologique (Négritude vs Créolitude) mais aussi son propre conflit intérieur entre deux façons différentes de gérer sa spécificité raciale et culturelle, c’est-à-dire entre la tentation de l’affirmation de sa culture face aux « autres » cultures et la pleine acceptation des autres et de soi-même par la prise de conscience de la possibilité d’harmoniser la richesse et multiplicité de son identité avec tout le monde. Je pense en effet que, malgré la condamnation de l’attitude de Rehvana, vous-même (comme je crois tout lecteur) ne pouvez pas vous passer d’aimer cette fille fragile et obstinée, qui se perd dans la recherche d’un retour aux origines illusoire et désespéré, victime de ce que j’appelle des "chronotopies fluctuantes".
— Oh oui, je suis entièrement d’accord avec votre analyse, fine et brillante. Le contrepoint — figure de danse à deux parties que j’ai choisie pour composer L’autre qui danse — ne privilégie aucune des deux parties, donc aucune des deux soeurs, qui exécutent chacune des "pas" d’une importance capitale.

– Pour les " Ebonis ", dans un texte critique consacré à votre roman je trouve cette définition « a Parisian sect of young Antilleans ». S’agit-il d’une secte qui existe réellement dans le Paris contemporain ?
— Oui et non : il s’agit bien d’une secte de jeunes Antillais à Paris — qui cherchent leurs racines et veulent se prendre pour de vrais Africains —, mais une secte que j’ai imaginée. Ce nom est une invention de moi, un nom que j’ai forgé à partir du mot anglais ebony (ébène, puisqu’il s’agit de jeunes Noirs), et du nom d’une population de Guyane, les Bonis, descendants de Marrons (esclaves s’étant échappés). Si cela vous paraît trop sibyllin pour
le lecteur italien, vous pourriez mettre ces explications en note. Il faudrait donc le garder tel quel, à mon avis : Eboni, peut-être sans le "S" final du pluriel, en italien, si vous voulez ?
Post-scriptum : la réalité a suivi ma fiction — imaginée en 1987 — : il a
existé ensuite à Paris à partir des années 2000 des mouvements similaires.

– Je dispose du roman L’autre qui danse en édition Le Rocher/coll. Motifs, 2007.
— Oui, c’est une édition de poche identique à l’édition originale, avec juste l’ajout du fac simile à la fin.

– "on avait bu de la bière de sorgho, raillé Babacar qui regrettait bien un peu son Coca " (p. 15 - 16) : le garçon, obligé de boire une boisson africaine, "la bière de sorgho", pour faire Africain authentique, regrette sa boisson favorite, la boisson américaine Coca-Cola, surnommée « le Coca » en français.
– « Je suis hors de la malle, grande, VRAI VISAGE, je surgis hors la malle ! » p. 16, ligne 9. A qui appartient ce « vrai visage » (en italien « vero volto » ) ? A Rehvana ? Et pourquoi "vrai" ?
— Oui, va pour "vero volto". L’allitération s’y maintient. C’est normal et voulu que ce soit flou, dans ce passage, comme c’est flou et confus dans l’esprit de Rehvana, embrumé, obscurci par les drogues et les coups, et qui a été enfermée dans une malle, et qui va même parler en latin, par une sorte de xénolalie délirante. VRAI VISAGE rend aussi l’idée de lucidité, d’illumination, de libération, après l’étouffement dans la malle. C’est le délire de Rehvana, sous l’effet de substances plus ou moins hallucinogènes que lui ont données les gens de la secte des Ebonis ; « vrai visage »= un peu comme à l’inverse de l’expression de Fanon "Peaux noires masques blancs" : Rehvana est en quête d’authenticité, des racines, de l’Afrique "vraie" — "Africa vera verissima"—, mais refuse les scarifications et autres simagrées.
Un autre éclairage pour VRAI VISAGE, romanesque comme la "vraie vie " :
Vous imaginez combien il fut intense, pour moi la "calazaza", de
plonger dans l’éblouissant roman de Richard Powers, "Le Temps où nous
chantions" ("The Time of our Singing"), dont la traduction m’a été
obligeamment offerte aux USA par son épouse universitaire, et qui
parle d’une famille de métis pris dans les aléas de l’Histoire. Eh
bien figurez-vous que mon plaisir de lecture s’est vu augmenter d’une
émotion nouvelle : à vous, chère traductrice, qui me demandiez hier
comment comprendre VRAI VISAGE dans « Je suis hors de la malle,
grande, VRAI VISAGE, je surgis hors la malle ! » (p. 16, ligne 9),
j’ai envie de vous envoyer cette citation extraite de "Le Temps où
nous chantions" (p. 487) : " Hat jede Sache so fremd eine Miene, so falsch ein Gesicht ! " ("Chaque chose a une allure si étrange, un visage si faux").
C’est un extrait d’un morceau de Hugo Wolf, "Le Mal du pays" que
chante à ses enfants métis le père blanc en se réveillant sur un lit
d’hôpital après une ANESTHÉSIE et un COUP DE MATRAQUE — donc dans le
même état que Rehvana surgissant de la malle, à la recherche d’un
"vrai visage" car il lui semble que "Chaque chose a une allure si
étrange, un visage si faux" —, phrase qui illustre à merveille mes
explications, ô prodigieuse coïncidence ! (Mais que dis-je : " il
n’y a pas de coïncidences, il n’y a que des correspondances, au sens
baudelairien ", écrivais-je dans "Rue Monte au ciel".)
Et je crois que c’est Apollinaire qui disait : "La littérature, c’est
la vraie vie".

– page 15 : Promonologue = il s’agit d’un monologue et d’un prologue en même temps ? (En ce cas, en italien le néologisme « promonologo » ?)
— Exactement ! Parfait !

– p. 16 : le mulâtre de Pantin est une périphrase qui désigne Jérémie, car il habite Pantin, en banlieue parisienne.

– "Peut-pas" (page 23). Les « peut-pas » sont les chaussures d’une personne pauvre qui ne peut pas s’acheter de beaux souliers. Synonymes : des nu-pieds, savates, sandales, claquettes, tongs ou tongues.

– "l’acier a lui" (p. 24) : « a lui » est la 3è personne du passé composé du verbe « luire », qui veut dire resplendir, briller. (Ça signifie « le métal a brillé, resplendi ».)

– " Beau croisé" (25)= le mot dérive des Croisades (it. Crociate) ?
— Oui, le beau chevalier qui galope au secours de la belle… Le chevalier servant.

– " Créole banane" (28)= un créole estropié ?
— Oui ! Bien vu !

– « C’est ça : toi tu « vibres », et moi j’avale ! », (p. 31). Même si je crois que ça concerne l’attitude de Rehvana (exaspérante pour Jérémie), l’exacte signification du mot « vibres », sa fonction métaphorique, m’échappe encore.
— "toi tu « vibres »" = toi tu as des émotions, des expériences plus ou moins folles, des sensations fortes (un peu comme dans la chanson "Good vibrations"…) ; "et moi j’avale ! " (expression française un peu familière) = moi je supporte, je suis bien obligée d’accepter, je tolère, j’entérine (familièrement : j’encaisse) avec une pointe de réprobation. Bien sûr, en français, il y a des connotations à la fois érotiques et évoquant la consommation de drogue… dans ce contexte post-soixante-huitard de libération des moeurs, de libération sexuelle et de "paradis artificiels" auxquels s’adonne Rehvana, et qui va à l’encontre de l’éducation petite-bourgeoise des deux soeurs.

– "Blette de coups" (37) = en italien “pesta” (pilée) ?
— Oui, : "blette" s’emploie pour un fruit, par exemple une poire, trop mûre, abîmée, gâtée, qui est tombée, amollie.

– "Le Quartier" (p. 38) : le Quartier latin, dans Paris, aux environs de la Sorbonne. Jérémie, « le mulâtre de Pantin » (page 16), habitait à Pantin (il a passé « une enfance paisible à Pantin » (page 35), puis il a déménagé (page 38) : « J’ai trouvé un studio dans le Quartier, et j’étais tout content, comme un grand couillon, à l’idée d’être plus près de toi. Je viens de déménager, tchao Pantin ! ».

– « Tchao Pantin » (p. 38) est le titre d’un film français. « Tchao » est de l’argot, une déformation du « Ciao » italien ; ça veut dire « Salut », « Bye bye », « adieu », familièrement, et « Pantin » c’est la ville de banlieue parisienne où habite le personnage du roman, par opposition au Paris intra muros, plus chic que la banlieue.

– « blandices », nom féminin pluriel, du latin blanditiae (page 41) signifie charmes trompeurs, caresses artificieuses, flatteries pour attirer, pour séduire, pour tromper, pour surprendre le consentement de quelqu’un ; par extension, tout ce qui charme, séduit.

– « déviation majeure de son moi » (page 50) : le sens est qu’il s’agit de sa grande soeur, donc une personne similaire à « son moi », mais en plus grand, un être offrant des ressemblances avec elle, mais aussi des différences positives, valorisantes, par conséquent une « déviation » d’elle-même, c’est-à-dire une autre version de sa personne, mais en plus grand, en mieux, donc « majeure », car Matildana était déjà née alors que Rehvana « nageait encore dans le néant des limbes » (n’était même pas encore conçue) ; et Matildana, la soeur aînée, est plus majestueuse, « noble Grande affranchie de tous fers », et Rehvana, la petite soeur, se sent inférieure, petit « être chétif », pas complètement « finie », pas « parfaite ». (Rehvana éprouvera plus loin une sensation d’incomplétude, de « l’incomplet de sa destinée ».)
Dans « déjà vive », « vive » a à la fois premier le sens de « qui est en vie » (« vivante », comme dans « mort ou vif », « morte ou vive ») et le sens plus courant de « pleine de vie », « pleine de vivacité », « prompte, rapide dans sa façon d’agir, de réagir, de comprendre (comme quand on dit « une élève vive »), mais « vive » a aussi le sens de « éclatante, lumineuse, d’une grande acuité, et suggère également « qui peut faire preuve d’impatience, d’emportement, d’excès », caractéristiques qui sont celles de Rehvana, mais en moins bien, en moins réussi, chez Rehvana, d’où l’expression « déviation majeure de son moi » : Rehvana a le sentiment que sa grande soeur, c’est elle, mais en mieux.
— Questions de la traductrice italienne de L’autre qui danse :
On trouve souvent Matildana indiquée comme « grande sœur », « noble Grande », « l’immortelle grande » (page 50) : je ne suis pas sûre que cet adjectif ne cache pas une nuance différente par rapport à l’adjectif italien correspondant (« grande »). Avez-vous des suggestions à me donner ?
— C’est l’aînée, mais il est vrai qu’elle est aussi de haute taille, plus grande de taille que Rehvana, et grande non seulement par sa staturephysique mais par l’ascendant qu’elle exerce, par son assurance et son équilibre qui lui donnent une supériorité.
— Pas de doutes : elle sera « grande » en italien aussi, même s’il n’existe pas de parfaite coïncidence entre les deux langues : en italien « grande » exprime bien l’idée de « aînée » et de « supériorité matérielle et morale », mais au point de vue physique ce mot ne saurait pas indiquer la dimension de la stature (en italien « alta »).
— Très bien, car c’est l’aspect le plus important, cette supériorité matérielle et morale.

– « une bande d’îles à bombes immatures » (pag. 53, ligne 13) :
— les "bombes immatures" sont les bombes que des terroristes indépendantistes ont fait exploser en Guadeloupe, et qui paraissent "immatures" parce que ce n’est pas une solution, ça ne résoud rien, c’est fait par des gens qui manquent de maturité. Mais il y a aussi l’idée que ces bombes ne sont pas au point et font long feu, car ce sont des amateurs qui les fabriquent. C’est une figure de style, un hypallage hardi et ardu !
Pour plus de détails sur l’architecte qui a trouvé la mort, avec ses 3 complices, alors qu’ils transportaient leurs bombes :
http://www.memoires-de-guadeloupe.com/patrimoine/fiche/60

– On compare le Lüger à un serpent-minute (p. 53), c’est-à-dire à quelque chose que l’on croit dangereux, mais qui est en réalité très inoffensif. J’ai essayé de trouver un équivalent dans notre culture, mais il faut aussi à mon avis garder l’image du serpent (et sa vague nuance sexuelle). Alors j’avais pense à une « biscia » (couleuvre), qui en général n’est pas un petit serpent, c’est vrai, mais qui peut pour cette raison effrayer malgré son inoffensivité. Qu’en pensez-vous ?
— Très bien analysé !

– (pag. 56 à mi-page) « cette zibicrette qui ne perdait rien pour attendre »
— " zibicrette" veut dire une fille maigre (le contraire de l’énorme Fassou) ;
"tu ne perds rien pour attendre" est une expression pour menacer quelqu’un dont on veut se venger, lui prédire que quelque chose de mal va lui arriver (même si pour le moment, elle est tranquille).

– (pag. 61) « peaux blanches et bergamasques noires » : pourquoi « bergamasques » ?
— "Bergamasques" est un vieux mot poétique (que l’on trouve chez Verlaine) d’origine italienne, d’ailleurs, de l’italien "bergamasco", de Bergame, ville d’où cette danse est originaire : danse et air de musique à la mode au XVII è siècle, mais pour moi synonyme de danse carnavalesque, joyeuse et légère.
Il y a aussi une allusion au titre de Fanon Peaux noires et masques blancs, avec l’idée qu’au carnaval tout le monde est mélangé, blancs et noirs, dans l’illusion de la fête.
— J’ai lu avec attention vos réponses, qui — comme d’habitude — sont très intéressantes et exhaustives. C’est étonnant : moi-même, je suis justement « bergamasca » de naissance (en 1960 ma famille vivait près de cette ville à cause du travail de mon père qui était « carabiniere ») ; mais j’avoue ne pas avoir pensé à cette explication : je n’imaginais pas non plus cet adjectif renvoyant à un autre concept qu’une indication géographique. Je rougis de honte !
— Encore une émouvante "correspondance" entre nous ( pas simple coïncidence ), car ce mot est très rare ! Mais si, en italien, "bergamasco" n’évoque plus ni danses ni chants joyeux, il faudrait lui adjoindre un nom ou autre le connotant.
— Oui, je crois que c’est possible : à propos du carnaval, la ville de Bergamo est aussi la patrie d’un masque très populaire en Italie, celui de "Arlecchino", personnage fameux pour ses "arlecchinate".
— Voilà qui est parfait ! Vive Arlequin ! Je l’adore.

– page 65 - « les porteurs de passeport noir ou vert mangot » : le mot « mangot » est un synonyme de « mangue » ? En ce cas il n’y a aucun problème.
— Oui, mangot = variété de petite mangue.

– p. 66 - « l’offrande de leurs nudités, aspergées de conserve » : la « conserve » n’est-elle un aliment en boîte traité pour être consommé même après beaucoup de temps (viande, fruits, légumes, etc.) ? Si oui, je n’ai pas bien compris son rapport avec la scène des ablutions.
— Pour la « conserve », oui, c’ est un aliment en boîte traité pour
être consommé même après beaucoup de temps (viande, fruits, légumes,
etc.), donc c’est avec l’eau de leur bain, qui est comme la saumure
ou un liquide de macération, mais il y a un jeu de mots, car "de
conserve" veut aussi dire "ensemble". Un double jeu de mots même, car le mot "macération" signifie deux choses, valables ici :
— la conserve ( ici, de leur viande humaine qui trempe dans l’eau du bain, comme en cuisine, quand on fait tremper un poisson, par exemple, dans une marinade)
— la macération religieuse, pratique d’ascétisme, pénitence,
mortification, en vue d’une purification spirituelle.

– « must » est un mot étranger ? (page 71, avant-dernière ligne). Le sens est évident, mais m’échappe l’origine et donc le signifié précis du mot.
— Oui, il s’agit bien du mot anglais "must", utilisé en français pour désigner un accessoire de luxe, de grande marque — comme Cartier, qui l’a mis à
la mode, ou Chanel, Vuitton, Dior, Longchamp, Lancel etc… ne faisons
pas trop de publicité ! —, très "tendance", à la mode, généralement un
beau sac à main, que l’on "doit" ("must") avoir pour paraître chic. Ici je l’emploie ironiquement, par antiphrase, puisqu’il s’agit d’un
vulgaire sac de plastique de supermarché, que tous les pauvres
peuvent se procurer, un énorme cabas affreux de mauvaise qualité
que trimbalent les immigrés dans ce quartier populaire.

– " Tromper, les tromper tous" (75) = ce verbe dans le sens de trahir (comme si Matildana pouvait être considérée presque comme une rivale des deux hommes) ou plutôt de duper ?
— Plutôt le sens de "trahir".

– " Leur frère a eu beaucoup "… (p. 78) : faut-il traduire littéralement « il loro fratello » ?
— Oui, « il loro fratello ». C’est le frère de Rehvana et de Matildana,
qui a apporté du rhum antillais à la fête.

– "Son corps en a pris sa part" (p. 79) cela signifie peut-être que le corps de Matildana a joué son rôle indépendamment de la volonté rationnelle de la fille ?
— Oui, comme si son corps savait de lui-même des choses, des pas de
danse etc… ignorés d’elle, des choses dont elle n’était pas
consciente, révélées par le fait de danser avec de "vrais" Africains
"d’Afrique".

– " Les bonds crapaudins des enfants" (p. 80 première ligne) : « des enfants » indique : « les sauts faits par les enfants » ou
« les sauts typiques des enfants » ?
— Les sauts faits par les enfants (car il y a petits et grands
dans cette fête, toutes générations confondues : voir aussi les
"vieilles" p. 80), ressemblant à des sauts de crapauds.

– "Les baissés-bas hardis des vieilles" (80)= qu’est-ce que c’est ces « baissés-bas » ?
— Mouvement de danse antillaise traditionnelle d’origine africaine : en dansant, plier les jambes (les genoux), pour se baisser bas, le plus bas possible, les fesses touchant presque le sol, tout en remuant les hanches.

– La danse de Matildana : les pas "lascifs" sont « mémoriaux
 » (p. 81 en bas) car ils dévoilent de la mémoire même du peuple ?
— Oui, les danses d’esclaves naguère interdites par les maîtres, qui
les trouvaient trop "lascives", trop sensuelles, trop polissonnes,
par rapport aux danses européennes bien policées.

– "Tournoyer jusqu’au madiana" (p. 82 ligne 6) : il me
semble que « Madiana » c’est une plage de la Martinique. Il
s’agit d’un nom commun ?
— Oui, exact, c’est le nom d’une plage ; mais c’est aussi le nom d’une
chanson créole qui dit (je traduis) : " O ! Madiana !/Le jour s’ouvre ***/Laisse-moi/Pour que je rentre chez ma maman ! "
(*** se lève, d’où mon expression, page 82 : " danser jusqu’à
rouvrir le jour"). C’est la chanson traditionnelle de fin de bal. Autrefois on disait aussi : " Les violons, dans le sac ! " en fin de bal : allez, les
musiciens rangent leurs instruments, la fête est finie ! Le nom de cette plage vient du nom de la chanson, car autrefois il se trouvait sur cette plage une paillote (bal populaire sous une tonnelle) du même nom.

–  Dans votre écriture j’ai souvent trouvé ce type d’expressions jouant sur le mot « air », que j’ai beaucoup aimé : « on la voit fendre l’air » 100, « La femme d’à coté qui fend l’air, le matin » 111, « en secouant beaucoup d’air » 152, « remue beaucoup d’air » 154 etc. Je me demande si je peux traduire de façon littérale ou s’il faut penser à une solution plus « commune » (un simple verbe, etc.)
— C’est une création poétique peut-être due au fait qu’il fait chaud et que l’on recherche l’air, ici, grâce aux ventilateurs, mais qui évoque aussi une sorte de magie, P. 100 et 111. C’est aussi une référence à l’expression créole « ba mwen lè » signifiant mot à mot « donne-moi de l’air ! », et qui veut dire « laisse-moi tranquille, fiche-moi la paix ». P. 152 et 154 : la personne se fait remarquer, ne passe pas inaperçue, perturbe l’entourage.

– " … ponctuellement hiérarchisées des meutes des chiens" …(104) = je ne comprends pas bien pourquoi « hiérarchisées ».
— Parce qu’il y a un chef de meute, à la tête des autres chiens, un mâle qui commande. Et les femelles sont le plus bas dans la hiérarchie.

– J’aurais besoin de la traduction littérale française de cette expression créole (p. 105) = « Ba mwen lè, chè ! », dont je peux deviner le signifié.
— Littéralement : "Donne-moi de l’air, ma chère !", c’est-à-dire " Ne m’étouffe pas ! Laisse-moi tranquille ! "

– « Depuis qu’elle habitait avec Enryck la grande maison de Café », p. 110, « À peine arrivée à Café » p. 136, « elle-même a vu des ses yeux à Café… », p.138) : Café c’est le nom du lieu ?
— Oui, "Café" c’est le nom d’un quartier, dans la commune du Vert-Pré, car on y produisait du café, très apprécié en France au XVIII è siècle.

– "Quels herbages se donner à boire" (112) = pour quelle raison on peut les boire ? Ce sont peut-être des herbages consommés sous forme de tisanes ?
— Oui ! Infusions ou décoctions, tisanes toutes appelées "dité" ou "dité péyi" en créole (= "thé pays"), chacune ayant des noms — voire des pouvoirs — magiques (le mot "quimbois" viendrait de "Tiens, bois !"), comme "à-tous-maux", "herbe-à-chats" etc.

– J’ai quelques doutes à propos de la couleur des yeux de Jérémie : j’ai traduit « verdi » ("verts", p. 116) et « dorati » ("dorés", p. 355) : c’est correct ?
— Oui, il a des yeux « pers » comme ceux de la déesse de la sagesse, Athéna (Minerve), verts entourés de doré.

–  "Cavales" (122) : pour quelle raison ce féminin ?
— J’ai choisi ce nom féminin, qui est le nom poétique pour "jument", afin de filer la métaphore érotico-masochiste : le dieu Neptune, mâle, viril, chevauche des juments —donc des femelles, comme l’homme quand il "monte" au sens sexuel la femme —, "figées dans un galop furieux", comme Rehvana furieuse des mauvais traitements d’Enryck, mais impuissante, faible, immobile, de plus en plus passive.

– "éwé" (130) : je n’ai pas trouvé le signifié de ce mot.
— Normal, c’est un mot d’une langue africaine. C’est le nom d’une ethnie africaine.

– "Verrier" (134) : le Petit Robert indique sous ce mot seulement une personne (un ouvrier, un artiste, etc.), mais pas d’objet (il s’agit peut-être d’une vitrine ou d’une crédence ?)
— Exactement ! Bravo ! Verrier est un créolisme archaïque, qui signifie vitrine ou crédence (ce dernier étant préférable, car archaïque lui aussi, en français).

– bâton levé, mèche allumée (136) = signifie avec un bâton (par ex. pour enlever les araignées) et une lampe dans la main (pour mieux voir) ?
— Oui, tout à fait ! Avec l’air très décidé, très volontaire.

– « Elle court, sous les averses nocturnes, entre la cuisine et la salle », p. 137. Pourquoi cette pluie entre cuisine et salle ? La cuisine aussi se trouve au dehors de la maison (car j’ai lu à la page 134 « l’office coloniale à l’ancienne, case exigüe […] bâtie à l’extérieur de la case même d’habitation » : peut-être que c’était le service autrefois réservé à la servitude) ?
— Oui, dans la maison créole, la maison coloniale traditionnelle, la cuisine (et l’office, la buanderie etc.) est à l’extérieur de la maison, à la fois parce que ce sont les domestiques qui l’utilisent, pour éviter la promiscuité, et pour éviter les odeurs. (Je dois vous avouer que ce n’est pas pratique, et que de nos jours on s’est installé une cuisine à l’intérieur ; mais on garde quand même l’envie
de pallier l’inconvénient des odeurs : dans ma vieille maison créole,
par exemple, la cuisine, l’office et la buanderie sont en bas, les
pièces d’habitation et de réception en haut. Pour le moment je ne
m’en plains pas et je trotte dans l’escalier, mais quand je serai
bien vieille il me faudra être bien riche, pour m’installer un petit
ascenseur ! )

– Que représente le « dégras » dans le contexte de la page 138 ?
— Encore un créolisme, ici pour désigner la terre fertile du jardin, la terre du verger.

– « C’est pas la pluie pour mouiller Davila ! », 145 : quelle est l’origine de cette expression ?
— Vieille expression d’origine inconnue, signifiant : il n’y a pas de quoi s’affoler, il n’y a pas de quoi fouetter un chat, tout cela n’a pas d’importance, il ne faut pas s’en faire, on en a vu d’autres ! il ne faut pas se laisser abattre pour si peu etc… (je suppose que "Davila" est une personne intrépide, courageuse, qui ne craignait pas de se mouiller). Formule à la fois d’encouragement et de résignation à son sort.

– Au point de vue de la traduction, j’ai évalué avec inquiétude les parties du livre où la présence du créole est plus forte, c’est-à-dire dans les discours de Man Cidalise, langage que j’ai appris toutefois à décoder un peu et qui m’a enchantée (comme Rehvana !) par son généreuse force d’invention.
— Le discours de Man Cidalise, c’est juste une création que j’ai imaginée à partir de la réalité, un français parlé par une Antillaise très âgée, à laquelle il manque des dents, une personne très peu cultivée, qui ne lit guère, habituée à parler créole, qui s’efforce de parler français pour Rehvana, et qui invente même des mots, comme « afroparadisiaque » pour « aphrodisiaque »…
— N’ayez crainte, je suis toute disposée à travailler la main dans la main avec vous, notamment pour les parties où je pratique l’hypotypose en faisant parler la "grande" dame (= vieille) avec ses mots et ses tournures à elle. Peut-être suffira-t-il parfois de substituer aux créolismes de ce "vieux corps" des régionalismes ou expressions dialectales archaïsantes de vieilles personnes d’Italie ou, mieux encore, de Sicile (île pour île !) ?

– « Et puis tu sais même plus raidir ton corps ! » (p. 145, en bas) = que veut dire « raidir son corps » ? Devenir dur comme une pierre pour mieux supporter les malheurs ?
— Oui, bravo ! Cela peut vouloir dire : résister, devenir hermétique, insensible aux atteintes, rester une femme "debout". Le contraire de l’attitude de Rehvana, molle, avachie, écrasée. L’un des universitaires, lors du récent colloque, a parlé de la verticalité dans mes livres ; ici, on retrouve cette image, reprise page 148 : "j’ai su raidir mon corps, tenu raide, pas molli". En créole, il n’y a pas de pronom personnel réfléchi équivalent à "me", "te", "se". On ne dit pas "je me lave", "je m’enfuis", mais "man ka benyen kò mwen" = mot à mot "je baigne mon corps", "man ka chapé kò mwen", mot à mot = j’échappe mon corps", et ces tournures se retrouvent chez les personnes qui parlent un français plein de créolismes.

– Pour traduire le parler de Man Cidalise, que je trouve extraordinaire, cette expérience de traduction devient pour moi toujours plus enthousiasmante, car elle me permet de mieux déceler la logique linguistique du créole et sa manipulation créative du français. Le fait que le mot « corps » se substitue aux pronoms personnels réfléchis cache des implications profondes à propos du rapport que l’individu entretient avec son identité culturelle, c’est une sorte d’objectivisation de soi-même, je crois.
— Oui, et le fait que le mot « corps » se substitue aux pronoms personnels réfléchis reflète le paradoxe de l’esclave qui ne s’appartenait pas, officiellement, puisque son corps était la propriété du maître, une chose, une marchandise ; mais dans son esprit — donc dans son discours — il se réappropriait sa propre personne, "son corps". J’y vois une forme de résistance mentale au statut d’esclave, une forme de marronnage linguistique.

–  X (p. 147) = cette lettre a la valeur de « un type » ?
— Oui, c’est une façon habituelle de dire « n’importe qui », "un quidam". « Par X, Pierre, Paul » signifie « par un type, puis par un autre homme, et encore un autre », « par toutes sortes d’hommes ».

– « leur père encore pièce »(p. 148, ligne 9) = quel est le signifié de « pièce » ?
— Créolisme, venu du vieux français, comme en français (vieux) la particule de négation "mie" (= miette, parcelle), pour la 2è partie de la négation = ne… pas, ne… plus, ne…jamais. (La langue créole a conservé toutes sortes d’expressions bien françaises tombées en désuétude en France.) Le sens de la phrase est donc : "les enfants ne veulent plus voir leur père". Mais "pièce" apporte ici un jeu de mots, car tout de suite après il est question d’argent, donc de "pièces" de monnaie !

–  " comme un compère Roquelaure" (p. 149, l.4) = il s’agit d’une expression idiomatique ou bien compère Roquelaure est une personne connue par Man Cidalise ?
— Bien deviné : il s’agit d’une expression idiomatique ; "compère Roquelaure" est symbole de quelqu’un de mal habillé, qui se laisse aller, n’est pas soigné.

– « cette soupe z’habitants » (p. 149, l. 8) ="z’habitants" signifie « des habitants » ? donc « locale » ?
— Oui !

– " Sérieux comme des pains de quatre sous" (p. 150, dixième ligne) = puis-je traduire littéralement ?
— Euh, comme vous voulez. C’est une expression familière ; il y en a beaucoup avec le "pain" (long comme un jour sans pain" etc). Ça veut dire "très très sérieux".
— ou au contraire me faut-il déceler une référence précise à ce type de pain, à sa forme ou à sa couleur ?
— Je suppose qu’il était gros, très consistant, donc "sérieux". Ce qui est amusant, c’est le mélange concret/abstrait, fréquent en créole, langue née chez des gens simples.

– "gole de partir" (p. 151, première ligne) = que signifie « de partir » en ce cas ?
— "gole" ( en créole "gòl")= Robe de sortie, élégante, soignée (par opposition à robe de chambre : le contraire des vêtements confortables et tenues négligées, décontractées, que l’on met pour rester à la maison).

–  "Si bien au-dedans d’elle-même" (p. 151, huitième ligne) = pourquoi était-elle faussement apeurée au-dedans d’elle-même ?
— Attention : "au-dedans d’elle-même" porte sur " si bien " et non sur "apeurée". Rehvana aime se créer des frayeurs, des émotions fortes. Ici, les cris des hommes, des coqs, le sang des combats de coqs, toute cette atmosphère violente est un peu effrayante, donc elle était apeurée, mais faussement : elle en rajoute, elle exagère sa peur pour avoir un prétexte pour se blottir contre son amoureux (se "nicher" dans ses bras). Rehvana est surtout heureuse d’être avec son amoureux, pour une fois : elle est "si bien au-dedans d’elle-même".

– "si tu crois je vais laisser mon corps aller" (p. 152, dixième ligne) = il y a une référence à ses fonctions corporelles ?
— Non : en créole, il n’y a pas de pronom personnel réfléchi équivalent à "me", "te", "se". On ne dit pas "je me lave", "je m’enfuis", mais "man ka benyen kò mwen" = mot à mot "je baigne mon corps", "man ka chapé kò mwen", mot à mot = j’échappe mon corps", et ces tournures se retrouvent chez les personnes qui parlent un français plein de créolismes. Donc "laisser mon corps aller " = me laisser aller, ne pas prendre soin de ma personne, me négliger.

– " si couri-vini " (p. 152, seconde moitié page) = il me semble qu’il s’agit du parler créole.
— Oui, c’est du créole, = en cas de besoin, de nécessité. (Mot à mot "si vient le besoin de courir", donc, s’il faut s’enfuir, se protéger, se mettre à l’abri.)
— Mais quelle place lui attribuer dans la phrase au niveau grammatical ? peut-on l’interpréter comme une manière pour dire « en bref » ?
— Non ; c’est une proposition subordonnée de condition =" s’il t’arrivait malheur, si tu avais besoin de moi". Il faut donc comprendre ainsi la phrase de Man Cidalise : "Alors, en cas de besoin, puisqu’il peut t’arriver n’importe quoi, je ne peux même pas être sûre que tu vas m’appeler à ton secours, puisque tu restes chez toi et ne viens plus me voir."(La vieille voisine est donc inquiète.)

– "Qui ça encore ?..." (p. 152, avant-dernière ligne) = vous pouvez m’en expliquer le signifié ?
— = "Que se passe-t-il encore de grave ? Quel est le problème ? (avec une certaine exaspération : le nouveau problème !) Que t’est-il encore arrivé de pénible ?" En effet, Man Cidalise "s’est penchée sur la jeune femme" et " l’examine ", presque comme un médecin : elle voit les traces de coups, ecchymoses, "bleus" etc… Donc la vieille voisine devine que Rehvana a encore été battue. C’est pourquoi elle s’exclame, invoque "Jésus" etc.

– " prendre du fer" (p. 153, première ligne) = rester là à se rouiller ?
— Oui, avec un jeu de mots, car " prendre du fer " veut dire être enchaîné (séquelle de l’esclavage), avoir des malheurs, souffrir ; mais "fer" veut aussi dire "phallus" !

– "totor monté" (p. 153, douzième ligne) = je peux traduire "monté" comme magique, ensorcelé ?
— Exactement ! (S’il y avait un mot italien conservant l’image de la verticalité, ce serait l’idéal…)
Le "totor monté" est une pièce de monnaie aux pouvoirs magiques. Tout ça c’est
du merveilleux créole à la sauce calazaza, ha ha ha ! comme l’explique Man Cidalise : « un totor c’est deux sous », avec la tête de Victor-Emmanuel, un roi belge, ou bien d’Italie, je sais pas, moi... dit-elle en arrondissant frénétiquement pouce et index pour figurer l’inconcevable taille de la mythique pièce. »
"Totor" est le diminutif de « Victor », d’où le nom de "totor" donné familièrement à cette pièce.
En France, il y avait autrefois un billet de 500 francs illustré par la tête de Pascal, donc ce billet était communément appelé "un pascal". Ainsi ne faut-il pas mettre de majuscule à « totor », sauf page 162, quand la femme parle à son cher totor comme à un humain : « ‘‘Totor ! Totor ! Mon Totor à moi, arrivez !’’.

– "Je suis pas manman-la-vie" (p. 153, treizième ligne) = qui est-ce manman-la-vie ?
— Mère Nature, une divinité source de vie, protectrice, aux grands pouvoirs magiques.

– Je hasarde une explication de ce mot créole à la page 155 (vous me pardonnerez, j’espère !) : « djambelles » (des jambes belles ?)
— C’est peut-être l’étymologie, puisque ce mot désigne des jolies femmes ("comparaison" = prétentieuses, coquettes, qui s’en croient et se "comparent" toujours aux autres, envieuses, comme les femmes qui veulent toujours la robe que vient d’acheter la voisine, précieuses, au sens moliéresque, futiles, snobs, "fashion victims" etc…)

–  « pélé-madame » (page 156) : il s’agit peut-être d’une femme blanche ? Et "vent-mené" (156) : transporté par le vent au sens figuré ?
— Non, pas une femme blanche, une mulâtresse (nous sommes au début du XX è siècle, époque où l’on assiste à l’émergence de la classe mulâtre, après la disparition de bon nombre de blancs lors de l’éruption meurtrière de la Montagne Pelée en 1902), mais une femme qu’on appelle madame, ("appelée madame"), donc une dame, une personne "bien", une bourgeoise, par opposition aux filles de rien, aux femmes de condition modeste. Mais celle-là s’est amourachée d’un moins que rien très laid, un " vent-mené" (oui, c’est un vagabond, amené d’on ne sait où par le vent, aux origines obscures, le contraire de la dame de bonne famille)… D’où le contraste, la mésalliance ! Une telle anomalie ne peut s’expliquer que si le bonhomme l’a ensorcelée (et s’il est quimboiseur = sorcier).
"Aimer voir" a un sens très fort = être amoureux de quelqu’un.

–  bombe-sirop, 157 = le signifié est intuitif ? (une bombe au point de vue sexuel de couleur sirop ?)
— Oui, c’est une métaphore à connotation sexuelle : la douceur du sexe de la femme est assimilée à une « bombe-sirop », c’est-à-dire un récipient contenant du sirop. (On dit aussi « sirop-miel » pour évoquer la douceur, la séduction.)

–  comme si dirait la personne allait pas voir ça (164) = j’aimerais en avoir une petite paraphrase.
— = en s’imaginant que le marchand ne s’en serait pas aperçu (de la disparition de son argent dans sa caisse, grâce à la magie du « totor monté »).

- Sens de cette réplique en créole de man Cidalise « Qui m’a fouti et ça ! », p. 173 ?
— L’expression est à double sens. Mot à mot, à la fois « Quelle mal foutue ! Dans quel état est cette malheureuse ! » et « Qu’est-ce qui m’a foutu ça ! ». Cidalise plaint Rehvana (mal foutue = maltraitée, battue, épuisée) et maudit le « misérable », le « sous-chien », c’est-à-dire le moins que rien, la canaille, le voyou, la brute lâche qui frappe les femmes (= Enryck) qui l’a « foutue » dans cet état-là.

– page 183, à quel personnage appartient la réplique « Ah bon » ?
— À Rehvana.

– Que veut dire Man Cidalise par cette métaphore : « je pourrais pas te régaler avec du coq d’Inde, mais quand un chien a l’habitude manger des œufs, i saute sur un bouton de porte blanc ! » p. 186 ?
— Le coq d’Inde, c’est la dinde (= d’Inde), le dindon. La métaphore veut dire que l’on se contente de ce qu’on a, surtout quand on est habitué aux privations, on peut manger n’importe quoi.

–  p. 187, « qui va encore… me jeter des rats morts dans la figure ! » : cette exclamation de Cidalise, c’est une expression qui a un signifié métaphorique ?
— Oui, le sens d’insulter, de jeter des choses désagréables, horribles, à la figure de quelqu’un, expression imagée pour exprimer le mépris, l’agressivité.
— ENGLISH : WordReference Forums > French-English Vocabulary / "jeter des rats morts au visage" : click here
"Nous jeter des rats morts au visage (dans la figure)" : "throw a dead black (brown ?) rat in our faces", "throw mud in our faces", " throw black mud in our faces ", " sling mud at us ".

– une catharsis (200) = mes doutes sont cette fois de nature grammaticale : quelle est la position du mot dans la phrase ?
— dans la phrase : « comme si la transe de l’Indien s’était épandue en elle avec la pureté du jeûne, une catharsis, en une prodigieuse et brève alliance, indissoluble cependant » le mot « catharsis » est mis en apposition, c’est-à-dire qu’il est sur le même plan que « transe » : en latin, il se mettrait au même cas, cum + ablatif = avec la pureté du jeûne qui réalise une véritable catharsis, une vraie purification au sens fort du terme.

–  à la page 201, Matildana écrit à sa sœur l’avoir vue en photo dans la revue « Antilla » : c’est une plaisanterie ou c’était vrai ?
— Oui et non : la fin de Rehvana est basée sur un fait divers réel signalé dans les journaux. (Voir page 388 : le même fait divers s’est reproduit en 2005 : la réalité a à nouveau rejoint ma fiction, hélas !)

– lynché p. 222 : on n’a pas vraiment "lynché" le "mauvais plaisant", bien sûr, c’est une hyperbole, une exagération humoristique carnavalesque. Le « mauvais plaisant » est juste un peu violenté, malmené, bousculé, maltraité, houspillé, molesté.

–  badigeonnée de jurons cabalistiques (222) = « badigeonnée » au sens métaphorique ou littéral ? (Ces jurons peuvent être écrits sur la voiture ?) Et pourquoi "cabalistiques" ?
— « badigeonnée » au sens littéral : au carnaval, on peinturlure, on colorie et on couvre d’inscriptions (comme avec des « tags » ou des « graphes ») de vieilles voitures dans et SUR lesquelles montent des grappes de jeunes. Bien sûr, comme carnaval c’est le défoulement, sexuel entre autres, ces inscriptions sont très cochonnes, des gros mots, des jurons (pardonnez-moi, mais en voici un exemple : « Le cul de ta mère », en créole, bien sûr), mais parfois on n’y comprend pas grand-chose, et les tabous religieux y sont profanés, ridiculisés, donc je les trouve « cabalistiques », par humour. Et n’oublions pas que Rehvana, la « nègzagonale », n’est pas très forte en créole. C’est surtout pour elle que ces phrases sont incompréhensibles.

–  créature bise 223 = quel est le signifié de « bise » en ce cas ?
— « Bise » est un adjectif, le féminin de « bis » = d’un gris tirant sur le brun, très brun (comme le pain bis, pain complet).

– A la page 223 vous parlez de la participation de Rehvana et Enryck au carnaval. Il me semble que les deux sont masqués en homme (Rehvana) et en femme (Enryck).
— Oui ! Voici l’explication : le carnaval se déroule principalement sur trois jours, que j’ai relatés pages 223 et suivantes.
1°/ dans le même paragraphe, j’évoque :
le Lundi Gras, " mariages burlesques ", puisque le carnaval c’est le
monde à l’envers, donc la coutume est que les femmes se déguisent en
hommes, et les hommes en mariées de carnaval.
Mais à la phrase suivante, nous passons au Mardi Gras, jour des
"diables rouges" où tout le monde se déguise en rouge.
2°/ Donc P. 223-224-225 : Mardi Gras, Rehvana est en femme et en rouge.
3°/ Page 225, "Au dernier matin", c’est le Mercredi des Cendres, où
l’on se déguise en noir et blanc.

– On lit que la jeune fille est « boudinée, malgré sa minceur, dans l’étroit costume de premier communiant du père d’Enryck » et « Enryck dans sa (d’elle ?) robe violette à volants » (« mariage de carnaval »). Je ne suis pas sûre d’avoir bien compris ça.
— Oui, vous avez bien compris. Car à la page suivante Rehvana est habillée en femme : p. 224 c’est le lendemain, Mardi Gras, en femme et en rouge.
— Ai-je mal compris ou, peut-être, elle avait des déguisements différents et donc elle avait changé d’habillement ?
— Oui, un déguisement différent chaque jour.

– En outre, qu’est-ce qu’elle porte sur la tête et pourquoi vous parlez de « chaudière » ? Il s’agit naturellement d’un couvre-chef, mais de quelle sorte ? « Chaudière » parce qu’elle réchauffe la tête de Rehvana ou sinon pour quelle autre raison ?
— C’est le nom d’un petit chapeau ancien qui fait partie du costume
traditionnel de Martiniquaise, en tissu avec du carton dur, rigide, à
l’intérieur, pour le maintenir en forme, donc ça fait un peu mal et
c’est chaud. (Je me suis déguisée une fois avec, et j’ai souffert !
Je m’en suis vite débarrassée !)

–  bayadère 227 = quel est le signifié de ce mot dans ce contexte ?
— adjectif signifiant « à rayures multicolores ».

– verrière 228 et 305 :
Les deux occurrences du mot « verrière » désignent l’ensemble des lames de jalousies – ou persiennes – en verre, que l’on peut incliner et orienter pour laisser passer l’air ou au contraire se protéger de la pluie et du vent, dispositif de fermeture de fenêtre très répandu en Martinique car bien adapté au climat tropical, composé de lamelles mobiles horizontales, treillis au travers duquel on peut voir sans être vu quand elles sont en verre dépoli, comme c’est le cas ici, pour adoucir l’ardeur du soleil.
Page 228 : « la véranda et la verrière et les colonnes du haut lit »…
Page 305 : « Et la verrière aussi semble à Rehvana si ancienne, si fragile, si peu armée pour résister aux trombes inattendues. Elle savait s’incliner, docile, pour distiller la tiédeur moite des ondées vespérales, quand Enryck de retour se penchait lentement sur elle, apprivoiser l’éclat solaire et dévorant du dieu vivant ; mais Baal a éteint ses feux, l’astre vainqueur ne daigne plus dispenser ses ardeurs, et Rehvana doute à présent qu’elle puisse supporter bien long­temps la violence diluvienne qui la cravache. Elle craint fort qu’elle ne vienne à céder brusquement. »
Je fais, juste avant, au début de la phrase, un jeu de mots (comme à mon habitude) sur les deux sens du mot « jalousie » (le sentiment, l’émotion d’anxiété et de frustration amoureuse) et les « jalousies » (l’assemblage à claire-voie de lamelles inclinées, le contrevent fermant une baie, constitué de plusieurs vantaux) :
« Des pluies rageuses s’acharnent sans trêve sur ses jalousies rabattues ». (La jalousie rentrée, refoulée, de Rehvana, qui doit s’incliner devant son triste sort, et les jalousies de la véranda, inclinées pour protéger des « pluies rageuses », mais prêtes à céder, menaçant d’exploser, comme Rehvana, pleine de rage elle-même et sur le point d’exploser de fureur. Il y a assimilation entre la verrière et Rehvana, l’une comme l’autre « fragile », sachant « s’incliner, docile ».
(Et même la phrase « la tiédeur moite des ondées vespérales, quand Enryck de retour se penchait lentement sur elle » contient un double sens érotique, sensuel, en désignant à la fois les pluies et les sécrétions vaginales de la femme amoureuse, la cyprine, le liquide corporel lubrifiant émis sous l’effet de l’excitation sexuelle…)

–  miroirs noyés 228 = noyés signifie enchâssés ?
— Non, c’est encore une de mes images, une métaphore personnelle, pour évoquer ces vieux miroirs piqués par l’humidité où le reflet semble se noyer, comme quand on voit à travers l’eau, pas très distinctement, un peu déformé.

–  Rehvana […] voulait vibrer avec les siens dans l’ascension du Golgotha (230) = « les siens » signifie « son peuple » ?
— Oui, pour se sentir bien martiniquaise basique, authentique, s’il en est…

–  « Jouer les gentils beaux-pères » 242 = pourquoi "beaux-pères" ? Ne s’agit-il d’Enryck ?
— Si, il s’agit bien d’Enryck, qui est le beau-père d’Aganila et non pas son vrai père, qui est Jérémie. Bien sûr, Enryck n’est pas marié à Rehvana, disons que c’est le pseudo-beau-père d’Aganila. En français, on a deux sens pour beau-père :
1/ Père du conjoint, pour l’autre conjoint.
2/ Pour un enfant du premier lit, second mari (ou 2è concubin) de leur mère : c’est le sens ici. « Jouer les » signifie « faire semblant d’être, simuler, se donner le rôle de, hypocritement, comme un acteur qui interprète un rôle ».

–  Les deux sombres battoirs (242) = comment on explique la présence de ces objets dans un hôpital ? Peut-être je n’ai bien compris leur fonction (j’imaginais deux pelles /palettes / grandes cuillères à pot, utilisées improprement par Enryck pour frapper sa femme).
— Non, c’est une métaphore : les battoirs sont les énormes mains d’Enryck, larges comme des battoirs, et qui l’ont battue. Un battoir était autrefois utilisé par les lavandières, au lavoir ou à la rivière, pour laver le linge en le battant.

– « les noms des magasins, des rues, et même, sur la plage de Grand-Anse, ceux des embarcations multicolores : Souvenir de l’armée colonial (sic)... Le Rêve... Les Dettes sociales... Espérance... Patience et Sang-Froid... L’Aîné des enfants... Le jour est arrivé et Vive la lettre B… » : ce sont tous de vrais noms de bateaux existant vraiment, que j’ai scrupuleusement recopiés, y compris avec la faute d’orthographe dans « Souvenir de l’armée colonial (sic) », où il manque un E final à « colonial ».

– la "force" inerte et froide" ( p. 249), c’est l’eau de la mer où elle marche.

– "de nobles grands-mères adoptives qui ne parlent que le créole" (p. 255) : le sens est paradoxal, il y a un contraste voulu : dans les milieux défavorisés, les grand-mères adoptent les petits-enfants parce que leurs mères sont absentes (droguées, parties en France, parfois même en prison ou mortes prématurément etc.) ; ce sont de pauvres femmes quasi illettrées qui ne parlent pas bien le français et “ne parlent que le créole”, mais elles ont une noblesse d’âme et de cœur ; il ne s’agit pas de raffinement mais de grandeur d’âme, d’aristocratie du cœur, chez ces femmes du peuple ; elles sont magnanimes, généreuses. Ces grands-mères sont de pauvres malheureuses, mais ce sont des princesses qui règnent dans le cœur des enfants.

– "Frime-Auto" 261 = Frime est une marque ? Ou sinon ?
— « Frime » est un mot familier signifiant apparence trompeuse pour épater la galerie, faux semblant, pour paraître plus que l’on n’est en réalité. « Frime-auto » est le nom d’un magasin vendant des accessoires pour voitures destinés à décorer les véhicules pour se donner l’air riche.
— Quelque chose comme « Vanity Auto » ou « Fashion Auto » (en Italie on utilise beaucoup de termes anglais comme fashion, glamour, etc. pour exprimer cette idée) ?
— Excellent ! Dans le mot « frime », il y a l’idée de clinquant, m’as-tu-vu, ostentatoire, « bling-bling », vaniteux, donc le mieux serait « Vanity Auto ».

–  "toutes ses femmes-dehors" 261= l’équivalent de maîtresses ou d’« épouses » illégitimes ?
— Exactement !

–  trempage (263) = la préparation d’un mets (it. ammollo/a bagno) ?
— Oui, un mets traditionnel remontant à l’époque de l’esclavage : du pain mouillé mis à tremper pour être servi émietté, recouvert d’une sauce à base de morue et tomate, le tout présenté sur des feuilles de bananier. (Et en principe, on le mange avec ses doigts et debout autour de la table, à la manière africaine.)

–  « arachnéennes » (270) = pourquoi cet adjectif pour décrire les « dentelles de parchemin » qui contiennent les prières de man Cidalise ?
— Sur les « dentelles de parchemin » sont écrites les prières, sur des feuilles de papier devenues au fil du temps « arachnéennes », c’est-à-dire fines comme des toiles d’araignée et un peu déchirées — trouées comme des dentelles — à force d’avoir été touchées, palpées pendant les prières, car la vieille dame tient le papier en disant les prières.

–  leurs shorts caca-poule (275) = c’est la couleur (indiquée avec ironie) de leur uniforme ?
— Exactement !

–  les mêmes épaisses cuisses poilues d’hommes de la terre (275) = on parle ici des gendarmes : pourquoi « hommes de la terre » ?
— Ils sont des paysans, originaires des campagnes dépeuplées.

–  Marie-Egyptienne (278) = c’est un surnom ironique que le gendarme a donné à Enryck (it. Maria d’Egitto) ?
— Non, c’est son nom de famille. Il y a beaucoup de patronymes martiniquais qui sont en fait un prénom de femme. (Voir sur mon site, la ribrique « le nom de Dracius ») Il faut voir les procédés de distribution de patronymes après l’Abolition de l’esclavage en Martinique !… Tout un poème ! Le 22 mai 1848, l’insurrection avait éclaté à Saint-Pierre. Le 24, le gouverneur décrète la liberté, " considérant que l’esclavage est aboli en droit ", anticipant l’arrivée du décret du 27 avril, le 3 juin. Ce sont donc les esclaves qui ont contraint le pouvoir local à abolir l’esclavage. Le suffrage universel (masculin uniquement, comme en France même) implique l’attribution de patronymes à ces nouveaux libres qui ne possèdent que prénoms — de baptême — et matricules. La plupart sont analphabètes. Peu connaissent leur âge véritable. Fantaisistes et mesquins, les secrétaires de mairie doivent donner des noms à ces nouveaux citoyens, ces Noirs qu’ils ont toujours méprisés. L’entreprise se révèle souvent poétique, parfois vulgaire, volontiers astucieuse : noms d’arbres ou de fleurs avec parfois connotations sexuelles voire insultes créoles à caractère sexuel ( Pommier, Coco — désignant aussi le pénis en créole —, Coucoune, variante Conconne, etc. ), noms d’oiseaux, (Aigle, Corbeau, etc.), exploitation d’une page du dictionnaire ( Chalumeau etc.), noms de personnages illustres ou piochés dans la Bible, la littérature antique et la mythologie gréco-latine (Caïus, Darius, Dracius, Epaminondas, Philoclès, etc.), anagrammes (Erepmoc pour compère, Soïme pour Moïse, Etilagé pour égalité, variante augmentée d’un suffixe avec Gatibelza, variante diminuée avec Galita, Etrebil pour liberté, etc.), noms de lieux (Bordelais, Nankin, Anduze, etc.), surnoms ou quolibets, prénoms (féminins le plus souvent, puisque l’esclave était désigné par le nom de sa mère, en vertu de la loi "ex utero"), noms africains réels ou fictifs, etc.

–  la phrase en créole « et pis c’est toute, pa ni dot ! » (281) de Man Cidalise :
— = « Et puis c’est tout, il n’y en a pas d’autre ! »

–  Pourquoi la petite Blanche, rose et timide, est-elle appelée par Rehvana « gendarmette » ?
— C’est une fille de gendarme.

–  « bien debout » (288) = je ne comprends pas ce « bien debout » (it. = in piedi), vu que la phrase commence par « le plus souvent dressé sur son mulet » : ce sont deux attitudes différentes de Boniface (dressé sur le mulet ou debout) ?
— En fait ce sont deux attitudes en une, car « debout » a, ici, une connotation abstraite, mentale, autant que physique. En interlecte ou français régional créolisé, « debout » ne veut pas seulement dire « sur ses pieds » mais « pas agenouillé, pas humilié, qui ne s’est pas abaissé, donc fier, pas à terre, donc pas vaincu ». Contraste saisissant entre ce Boniface macho et le Boniface amoureux de Rehvana, qui perd toute sa superbe et rampe quand il s’agit de Rehvana, qui méprise et rudoie tout le monde — y compris sa propre sœur jalouse et incestueuse — excepté Rehvana, peut-être parce qu’elle lui paraît inaccessible et différente des autres femmes, avec ses manières étranges.

–  ma-commère (289) = les termes français utilisés avec un signifié différent, celui du créole, par exemple commère (qui en créole signifie « voisine »), thé 54, 146, 363 (en créole « tisane »), jardin 105, 127, 133, 138, etc. (en créole « potager »), comment faut-il les traduire ?
— Il y a des cas où vous pouvez les traduire par ces termes à peu près équivalents, mais pas partout, donc il faut les prendre un par un :
• le « thé à la menthe » 54 est du vrai thé (vert). Page 363, du vrai « thé » aussi.
• Par contre, page 146, le « thé de citronnelle » est bien une décoction, une sorte de « tisane ».
• Va pour « jardin potager » ou « verger » pages 105, 127, 133, 138.
• Mais attention ! « ma-commère » (page 289), en créole « makoumè », signifie « homosexuel, pédéraste, efféminé », à ne pas confondre avec « commère » ( qui signifie « voisine » ou « la femme qui est la marraine quand on est soi-même le parrain », comme en français), même si cela vient de là.

– Faut-il traduire quelques exclamations de Man Cidalise (« Aïe foutre ! » 193, « Foutre ») 289, par des mots très grossiers, assez fréquents dans le parlé populaire, (it. cazzo !), ou par d’autres termes (it. caspita !/ diamine !) qui sont très employés aussi, mais pas vulgaires ?
— Traduire plutôt par les termes (it. caspita !/ diamine !) très employés, familiers mais pas vulgaires ni grossiers.

–  “copiant autant qu’elle la figure ” (299) = l’image est claire (une similitude entre cette « petite aube blafarde » et l’état d’âme de Rehvana).
— Oui, exactement : même désolation, même aspect.

– Mais j’aurais besoin de vos explications à propos de la phrase entre parenthèses (299).
— La phrase entre parenthèses est une question rhétorique posée par le narrateur, qui ne se veut pas omniscient, et se demande si Rehvana est consciente de sa propre déchéance : « Mais s’est-elle vue elle-même » signifie « se rend-elle compte de sa propre misère ? ». « Si fongible » signifie qu’elle est si fragile qu’on dirait qu’elle pourrait fondre sous la pluie fine (« fifine-la pluie »), comme ont fondu (« délitescence ») ses rêves et ses illusions.

–  « bâillante » (300) = la traduction littérale en italien (= che sbadiglia), c’est-à-dire qui ouvre la bouche toute grande. Ce mot ne souligne pas le désespoir de Rehvana, mais la montre plutôt pleine d’ennui.
— Plutôt que pleine d’ennui, elle est vide, vidée de toute énergie ; « bâillante » équivaut ici à « béante », en complément à « abyssale ». C’est l’image d’une profonde solitude, d’un abandon désespérant — une « déréliction ».

–  le « so » de Man Cidalise (301), prononcé d’abord avec un « o » ouvert et ensuite avec un « o » fermé = il s’agit dans tous les deux cas du mot « seau » (it. secchio), ou cette phrase cache un jeu de mots ?
— Oui, il y a un jeu de mots, car il s’agit d’un « sort » (ligne 15), un sortilège, une pratique magique, quand on jette un « sort » sur quelqu’un pour l’ensorceler, mais Rehvana comprend « seau ». Man Cidalise parle tellement mal, écorchant tellement le français et y mêlant du créole sans prévenir, par glissements inconscients — interlecte habituel, en Martinique — que Rehvana s’y perd. La vieille dame croit que sa plaie au pied ne guérit pas à cause d’un « sort » qu’on lui a jeté pour l’empêcher de guérir.

– Pour « man Cidalise » j’ai laissé « man » en italien. À votre avis, il faudrait traduire ce mot ?
— Comme « man » signifie « m’dame » en créole (c’est-à-dire "madame" en parler populaire, familier), je crois que vous pouvez le laisser tel quel, pour garder la couleur locale, si le lecteur italien peut comprendre. À moins qu’il n’existe un équivalent en italien de « m’dame », et que vous ne préfériez l’employer ?

–  à la page 305 il y a, il me semble, un parallélisme entre la fragilité matérielle de la verrière et celle émotive de Rehvana ? Le pronom « elle » dans la phrase « elle savait s’incliner, docile, pour distiller la tiédeur moite… » indique toujours Rehvana, je crois. Mais, je me trompe ou cette phrase « joue » avec une double possibilité d’interprétation ?
— Bien sûr !

–  le « grésil » (318) = existe-t-il un synonyme de ce terme ? J’ai en effet compris la fonction de ce produit, mais le petit Robert dit seulement : « précipitation de fins granulés de glace ou de neige fondue » !
— On appelle « grésil » un produit ménager désinfectant très fort, très actif, puissant.

–  Les deux premiers paragraphes de « Dernières alliances » 325, marquent en peu de lignes un changement décisif dans la vie de Rehvana et de sa fille. La traduction en soi ne présente aucun problème, mais j’ai des doutes à propos de l’identité des personnes dont l’on parle : Qui est "l’amie vénale" ? et "le gros amant visqueux" ?
— Simplement une vague connaissance de Rehvana que l’on n’avait jamais vue et que l’on ne reverra jamais, des personnages secondaires qui ne font que passer. Cette amie et son amant ne servent qu’à l’héberger.

–  "couteau de peintre" (329) = en italien « spatola ». Ce terme fait-il référence aux velléités artistiques de Faraud ? En ce cas, on peut le remplacer par un autre terme différent, peut-être du domaine théâtral ? En effet, le mot italien « spatola », en l’absence d’un contexte plus explicite, ne renvoie pas de façon immédiate au domaine de l’art et l’on risquerait ainsi de rater le sous-entendu, s’il y en a un.
= Oui, il y a en effet cette allusion aux velléités artistiques de Faraud.

– garçonnerie (334) : néologisme à rapprocher de l’adjectif « garçonnier », qui évoque chez une jeune fille les allures libres d’un garçon ; ce mot est lié au titre du roman La Garçonne, dont l’édition originale fut publiée chez Ernest Flammarion en 1922 par Victor Margueritte : une jeune femme, Monique, apprenant que son fiancé la trompe, décide de mener à son tour une vie libre, avec des partenaires multiples aussi bien masculins que féminins, ce qui fit scandale à l’époque.

–  « Créatrices » (346) = cet adjectif dans le sens de « créatives, inventives » ?
— Oui : des femmes qui peuvent s’épanouir dans des activités de création — littéraire, poétique, artistique…

–  « Comme chez tous les êtres amoraux, il y a de la déesse en elle » (347) = s’agit-il d’une citation de Lawrence Durrell ? (j’en ai trouvé des traces sur le web). Et si oui, de quel ouvrage en particulier ?
— Bravissimo ! Il s’agit en effet d’une citation de Lawrence DURRELL, du Quatuor d’Alexandrie — traduction que j’ai citée de mémoire, et dont j’ai corrigé, par la même occasion, la construction agrammaticale —, dite à propos du personnage de Justine, comme Rehvana, fascinante, d’une beauté ténébreuse, objet de désir de tant d’hommes, indéfinissable et mystérieuse. Il serait bon, si vous voulez, de l’indiquer en note de bas de page.

– Une abbaye romane en Touraine « où rôtissaient à la broche doux agnelets… » (356) = peut-on faire cela dans une abbaye ?
— Oui, car c’est une ancienne abbaye désaffectée, qui ne sert plus qu’à de grandes réceptions luxueuses.

–  « mamante religieuse » (357) = C’est une déformation de « mante religieuse » ? Je n’ai rien trouvé à propos de ce mot, et donc il m’échappe aussi quelle est la « fâcheuse tendance » de Marie-Aude.
— C’est un néologisme : j’ai fait un triple jeu de mots sur la « mante religieuse » (qui détruit le mâle dès qu’il l’a fécondée), la future « maman » (car Marie-Aude, enceinte, préoccupée uniquement de sa grossesse, ne veut plus faire l’amour), et « amante religieuse » (car elle est très pieuse, très catholique pratiquante, en bonne bourgeoise de province, donc assez coincée, assez prude, puritaine). Résultat : elle refuse les rapports sexuels. Voilà quelle est sa « fâcheuse tendance ». Mais c’est une métamorphose (« muée en »), puisque, auparavant, Marie-Aude se montrait très amoureuse. C’est ce qui explique que, délaissé et repoussé par son épouse, Jérémie se remette à penser à Rehvana, son premier amour, et à Matildana, qui lui était apparue si magnifique au début de l’histoire (cf. page 45 : « Jamais Jérémie n’avait vu la splendeur de cet être si résolument multiforme », Matildana)…

– « rue des Imbergères
Sceaux (Seine) »
(page 362)
est écrit comme une adresse sur une enveloppe. (C’est ma véritable adresse, celle de mon enfance à Sceaux, où j’habitais 23, rue des Imbergères ; à l’époque, le département s’appelait « Seine », et pas encore « Hauts-de-Seine ».)

–  « AA AA line » (374) : ce vers de la comptine veut seulement rythmer le nom d’Aline ou il cache aussi un autre sens ?
— Oui, pour une fois, il ne s’y cache guère d’autre sens que l’exclamation « Ah ! » admirative et exprimant la surprise, l’étonnement et l’envie devant une si prodigieuse poitrine (« gros tétés »). Il y a, en arrière-plan, pour l’explication de texte, l’idée que ce n’est pas un hasard si cette chanson lui revient en tête, puisque Rehvana est désormais seule avec son enfant et incapable de la nourrir, que ce soit au sein ou autrement, contrairement à cette mythique Aline qui a de quoi allaiter avec ses « gros tétés ».

–  « Veuillez passer en automatique et vérifier votre vis-à-vis » (377) = J’avoue ne pas avoir compris le sens d’ « automatique » et du mot « vis-à-vis » dans ce contexte.
— Ce sont les paroles prononcées par le personnel naviguant dans un avion, et que l’on entend au haut-parleur, juste avant le décollage. (Le "vis-à-vis à vérifier", c’est la fermeture "automatique" de la porte qui est en face ; les portes des sorties d’urgence sont bloquées/sécurisées.) Mais c’est à double sens : pour Matildana, « vérifier votre vis-à-vis » signifie « vérifier son alter ego, sa sœur, s’assurer que sa sœur va bien ». Donc « Elle n’avait pas besoin d’entendre ça. »

–  « seulement » (381) = dans cette phrase que veut dire cet adverbe ? Qu’il a suffi que l’avion ait entamé un large virage pour que son aile droite lui ait sauté à la figure ?
— Oui, car juste avant, elle pouvait voir la « mairie », mais quand l’avion « a entamé un large virage », cela n’a plus été possible, puisque l’avion s’est penché, « l’aile droite » bouche son champ de vision, brusquement, ce qui lui donne l’impression que « l’aile droite lui saute à la figure ».

Traductions des phrases en créole et interlecte [avec, entre crochets, explications ou diverses variantes possibles] ; mais elles sont toutes rendues compréhensibles par le contexte :

– ¨ « missié-taa » (156)
— Simplement le démonstratif = ce monsieur-là. "Missié" ou "mussieu" s’emploie comme pronom personnel 3è personne au masculin, = le, lui.

– « qui moun a fait » (156)
— = qui a fait.

– « bois-bander » (156)
— Breuvage fait à base d’écorce d’un arbre réputé pour ses vertus aphrodisiaques.

– page 159 "I ka fè djèz, fout i prélè ! Mim !" = « Elle fait la fière, se pavane, elle parade, qu’est-ce qu’elle est coquette et élégante ! qu’est-ce qu’elle a de l’allure ! [= en langage familier et moderne : elle frime, elle en jette ! quel super look !] »

– « chien-fer » (162)
— Chien créole au poil ras, de couleur gris fer, semblable à du fer.

– « battemanman » (162)
— Pagaille (pagaïe, pagaye), grand désordre.

– « comme souris en graines balai » (162)
— Le "graines balai" est un arbre à petits fruits noirs brillants comme des yeux de souris.

– « Rôye papa » (163)
— Interjection familière, comme "Oh la la ! Mon Dieu !"

– « À l’heure je vais toucher mon trimestre » (164)
— = Quand je vais recevoir l’argent de ma pension (mes allocations perçues trimestriellement, tous les trois mois).

– « kouililik » (170)
— Interjection familière = "Au secours ! À moi ! Sauve qui peut !"

– « Man wè kòn djab-la, man dìw ! »171= « J’ai vu les cornes du diable, je te dis ! »

– "Qui m’a fouti et ça !" 173 = « Qui est-ce qui m’a foutu ça ? Est-ce que j’avais besoin de ça ? »

– ‘‘Pa zot, han ? Mi zot ! » = « C’est pas vous autres, hein ? »

– Man té di zot ki zot...’’ 183 = « Je vous avais bien dit que vous… »

– "Man pa sav kisa sé boug-la bwè avan yo rantré adan légliz-la !"184 = « Je sais pas [familier, sans la négation « ne », pour marquer le parler populaire] ce que ces bougres-là [ces types-là, ces gars-là] ont bu avant d’entrer dans l’église. »

– “Mi ta’w, mi ta mwen…” 210 : « Voici le tien, voilà le mien » [Attention ! « Mi » en créole signifie « voici, voilà »]

– « Eh, Damizo, eh ya !... Pa lévé lanmen asou krapo !...Papillon, volez ! C’est volé nou ka volé ! » 222 [ c’est une chanson de Carnaval — donc aux paroles farfelues et fantaisistes — qui dit, en traduction littérale] : « Eh, damoiseau [jeune homme, garçonnet], eh la ! Lève pas la main sur le crapaud ! Papillon, volez ! Nous volons pour de bon !

– « i salé ! 229 [s’emploie pour encourager des combattants] = « Allez ! Du sang ! »


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